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Africaine Queen, 8

Africaine Queen, 8

Africaine Queen, 8
Mis en ligne le mercredi 22 septembre 2010 ; mis à jour le lundi 22 novembre 2010.

Publié dans le numéro 07 (8-21 mai 2010)

Il n’y aura pas de carnets de Moussa. C’était la dernière occasion, elle est passée. Moussa devait venir me les porter accompagné de son grand frère. Non content de sécher le rendez-vous, le grand frère a finalement confisqué le cahier. Moussa furieux a fait appel à la seule personne qui pouvait encore intervenir, instance suprême dont l’évocation m’a un instant fait reprendre espoir : son père, qui, de Côte d’Ivoire, a tenté d’appeler le fils récalcitrant pour lui passer un savon et débloquer la situation. Hélas il n’a pas réussi à le joindre, et s’il m’est jamais donné de lire le précieux cahier, ce sera trop tard pour en livrer des extraits dans ce feuilleton. Dépité, je mangeais mon chapeau sur un trottoir du quartier, à la recherche d’un nouveau finale, lorsqu’une affiche providentielle m’est tombée sous les yeux. « Samedi 1er mai à partir de 19h : élection de Miss Côte d’Ivoire Europe. »

19h15. J’arrive essoufflé. Le néon rose des Salons Vianey parade en face du pont d’Austerlitz. Où sont les reines africaines attendues ? Où, la foule que j’imaginais massée devant l’entrée ? La porte franchie, le hall est désert. À l’accueil, le responsable des relations presse met une croix près de mon nom - la première sur la liste de plusieurs pages posée devant lui. Il est détendu et pour cause : les premiers vrais invités, m’explique-t-il avec un sourire, n’arriveront pas avant deux heures. « Sur les affiches c’est écrit 19h mais bon, c’est l’horaire africain, hein », me glisse un photographe vietnamien lui aussi victime de son zèle. Dans la salle de cérémonie, deux à trois cent chaises vides patientent sous un plafond de stucs et d’ors. La piste est déserte, les tables des jurés et des VIP à peine dressées encore. Partout trônent des panneaux publicitaires à la gloire des Comptes Akwaba, « produits de banque et assurances pour la diaspora ». « Ma banque est en France, mes intérêts en Côte d’Ivoire », clame sur une des affiches un cadre dynamique ivoirien. « Nous écoutons la Marseillaise, nous chantons l’Abidjanaise », renchérit un couple tout sourire sur le panneau voisin.

Les minutes passent, la salle se remplit au compte-gouttes. De jolies filles, peut-être d’anciennes lauréates, s’asseyent au premier rang, juste devant moi. Un éclairagiste passe, dragueur : « C’est vous qui défilez ce soir ? » Gloussements. 21h. J’ai eu le temps de compter pas mal de fois les lustres au plafond lorsqu’enfin le DJ se décide à lancer la musique. Un gros zouk love qui tout de suite réchauffe. Je me mets à causer avec mon voisin, employé d’Africa Cola, l’un des sponsors. Il me détaille les différents types de musique que nous entendons, cabo love, zouglou, funana. Enfin le DJ se décide à envoyer les premiers tubes de coupé-décalé. L’ambiance s’anime, les filles devant moi chaloupent des épaules, accompagnent de leurs lèvres le roulement euphorique de la musique. « Parce que je t’aime, je t’aime un point c’est tout...  » Les rangs se garnissent, les VIP s’attablent devant des flûtes de champagne que le reste de la salle les regarde écluser.

Enfin l’animateur entre en piste. Une brève allocution du sponsor MTN, leader de la téléphonie mobile en Côte d’Ivoire - « nous sommes sur Miss Côte d’Ivoire pour accompagner les jeunes filles dans leur épanouissement » – et la cérémonie démarre en trombe. Premier passage des onze candidates, dont par rigueur professionnelle je ne décrirai que les arguments capillaires. Longues nattes attachées haut, Ruth s’avance en rythme, danse longtemps avant de faire demi-tour. Ovation. Rita, Joëlle, Laetitia ont opté pour un carré très court à la Rihanna, Magali et Jennifer pour un tissage lisse mi-long qui leur tombe de chaque côté du visage. Une candidate se détache déjà : Aminata, nattes attachées de côté, dont la salle scande le nom. Deuxième passage - en tenue de soirée cette fois. Le volume des baffles redouble, les candidates qui n’avaient pas soulevé l’enthousiasme la première fois reviennent en traînant des pieds, précipitant leur disgrâce. « On les encourage, on les encourage !  » se déchaîne l’animateur. « Et voici maintenant le troisième passage, attendu avec impatience on peut le dire par la plupart des hommes dans cette salle : le passage olympique ! ». Les candidates ont toutes enfilé le même maillot une-pièce jaune. « Ouah trop cheum », grogne mon voisin en se prenant la tête entre les mains. Peu à leur avantage, les filles s’approchent timidement et repartent. Il faut le retour d’Aminata, sûre d’elle, pour raviver l’hystérie. L’applaudimètre monte encore  : Axel, cheveux très courts tissés seulement d’un côté - l’effet de déséquilibre qui en résulte est superbe – vient d’entrer en piste. « Axeeeeel ! » se pâme une femme à l’apparition de sa favorite, déclenchant l’hilarité alentour.

La salle réclame ses championnes, le jury fait son choix, qui est ou n’est pas celui de la salle, est ou n’est pas le mien, peu importe, je reste quelques minutes encore étourdi puis m’éclipse. Rentré à Château d’Eau il est minuit, la sortie de métro est déserte. Derrière un ou deux rideaux baissés, la lumière brille encore, queue de comète d’un 1er mai qui n’aura pas été férié pour tout le monde. Une voiture s’arrête au feu. Repart. Tout est calme, suspendu. Lundi l’agitation reprendra, avec son crescendo hebdomadaire vers le pic du samedi après-midi. Il y aura de nouveau des rabatteurs. De nouveau Moussa, Salimaga, Chek et les autres. De nouveau des clientes que les mains des coiffeuses feront belles. Et ainsi aussi longtemps que Château d’Eau vivra.

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