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Les Québécois et la présidentielle

Les Québécois et la présidentielle

Les Québécois et la présidentielle
Mis en ligne le mercredi 4 juillet 2007 ; mis à jour le mercredi 22 août 2007.

Publié dans le numéro III (juin 2007)

Les québécois ont suivi avec attention le déroulement de l’élection présidentielle française, dont les résultats étaient diffusés en direct sur TV5 Monde, le dimanche à 14 heures. Le lundi 7 mai au matin, lendemain du second tour, petit inventaire de la presse locale.

Pour un résumé cinglant des résultats de l’élection présidentielle, le surtitre du Globe and Mail, journal canadien anglophone, fait l’affaire : « “Dracula” defeats “Mary Poppins” ». Un ton mordant qu’on ne retrouve pas dans la presse« francophone.

Le Journal de Montréal 

Le Journal de Montréal est un tabloïd de plus de 100 pages, dont au moins la moitié sont des publicités... Ses titres sont systématiquement centrés sur des faits divers ou des informations de proximité. Le lundi 7 mai, alors que ses deux concurrents dédient la majorité de leur Une à la victoire se Sarkozy, il titre, en énorme : « Nos écoles entourées de fast-foods  », la référence à l’élection française ne venant qu’avec une petite photo détourée de Sarkozy, l’index tendu. À l’intérieur, deux pages de texte et, plus loin dans le journal, une page entière de photos. L’article général sur l’élection est une simple dépêche AFP. Le Journal de Montréal a bien un correspondant à Paris, qui avait fait le choix de suivre la soirée électorale au ministère de l’Intérieur : « Entre deux coupes de champagne, les VIP assoiffés et affamés n’avaient de cesse de consulter nerveusement leurs cellulaires. » L’envoyé spécial rencontre un « élégant avocat d’origine togolaise », qui lui explique : « Vous avez devant vous un Noir. Si Nicolas Sarkozy était un fasciste, je ne pense pas que je serais là. » Voilà peut-être de quoi rassurer les Québécois, pour qui le racisme est à proscrire. L’autre papier est un reportage à Montréal même, dans les deux lieux où les Français s’étaient réunis pour voir les résultats : sous le titre « Explosion de jour à Montréal », le papier donne la parole quasi-uniquement à des pro-sarkozy. « Calme, posé, mais heureux, le sénateur des Français établis hors de France, Louis Duvernois, a dit “que les Français ont indiqué la voie qu’ils entendent suivre au cours des cinq prochaines années”. Pour sa part, Christophe Robreau, un superviseur d’entrepôt au Québec depuis cinq ans, estimait que l’élection présidentielle montre une France divisée. “Mais au moins, avec Sarkozy, la France se remet au travail”, estime M.Robreau, satisfait du résultat. »

Le Devoir 

Le Devoir est le dernier quotidien indépendant du Québec. Sa pagination est réduite : 16 pages au format très particulier, et à vrai dire assez élégant de la presse canadienne, tout en hauteur. Les articles sont classiques, trop classiques, même. On retrouve les tics d’écriture absurde de l’écriture journalistique. Le correspondant à Paris synthétise la soirée du 6 mai, ce qui donne, au cours d’un paragraphe sur le discours de Ségolène Royal à la Maison de l’Amérique Latine : « Alors que la foule scandait “Merci Ségolène”, quelques dizaines de voitures commençaient à brûler dans les banlieues de Lille, Paris, Lyon, Dijon et Marseille. » Le raccourci hâtif est donc la chose la mieux partagée dans la presse du monde. On imagine que le « Alors que » du journaliste n’est pas volontaire, mais il se lit de la façon suivante : à Paris, les soutiens de Ségolène Royal l’applaudissent ; ailleurs, ils font brûler des voitures... À peu de choses près, on pourrait croire que c’est Arnaud Montebourg lui-même qui craquait les allumettes...

Les analyses sont en revanche précises, et sans langue de bois. L’éditorialiste François Brousseau écrit : « On répète que Nicolas Sarkozy représente, en 2007, une droite claire et nette, une droite “décomplexée”. Dans son discours d’hier, il a répété les mots “travail, autorité, morale, respect”... Et pourtant, rien ne dit que l’opportunisme politique ainsi que le doux confort de l’Élysée (dont Jacques Chirac a passivement joui pendant 12 années de sa vie) ne tempèreront pas, à l’usage, les côtés “activiste boulimique” et “idéologique” du personnage. » On ne saurait mieux dire. C’est pourtant dans le même journal que, quelques jours auparavant, on pouvait lire un article très surprenant sur l’état de la France. Christian Rioux, le correspondant du Devoir à Paris, interroge deux Français sur les questions économiques. Ce genre de papiers donne d’habitude, grosso-modo, la parole à un défenseur du libéralisme, et à un défenseur du service public. Là, nous avons d’un côté Nicolas Baverez (auteur de La France qui tombe), qui soutient Nicolas Sarkozy, et, de l’autre, Elie Cohen, économiste au CNRS, qui accuse ce même Sarkozy de trahison : « “Les yeux rivés sur les sondages, [Nicolas Sarkozy] a progressivement gauchi son discours jusqu’à la fin, où il s’est mis à faire l’éloge du monde du travail et à dénoncer les patrons voyous qui font des délocalisations, dit Cohen. Il n’a pas fait la pédagogie de la mondialisation, la pédagogie de l’insertion de la France en Europe. Après cette campagne, on voit la confirmation de tous les stéréotypes sur la mondialisation.  » Ce type de discours fait mouche au Québec, où la notion de service public coexiste avec un libéralisme accepté, et où la mondialisation n’est pas du tout vécue comme une menace. Elie Cohen d’ailleurs s’oppose au discours anti-immigrés de la France, assumant, à la manière canadienne, un libéralisme ouvert : « La France est un des seuls pays développés à avoir cette peur panique de l’immigration, des délocalisations et de la mondialisation ».

La Presse, qui se proclame en Une « plus grand quotidien français d’Amérique », appartient au Groupe Gesca. Sous une maquette élégante (les polices de caractères utilisées sont originales et très cohérentes, et le format canadien est intelligemment utilisé, ne seraient-ce l’abondance de publicités – la plupart des quotidiens sont vendus avec des petits catalogues publicitaires glissés entre les pages), il est fourni : trois pages sur l’élection, plus deux autres de débats et de courrier des lecteurs (majoritairement en faveur de Sarkozy). Il se donne même le luxe d’avoir un papier qui revient sur le parcours de Ségolène Royal, qui a manifestement tapé dans l’œil du correspondant local : « [S.R.] a mené une campagne pétaradante et totalement personnalisée, en mettant sur la touche ses rivaux et les barons du PS. [...] Par la seule magie de l’image, et d’un sourire éclatant de satisfaction, elle aura réussi, au moins un temps, à transformer un échec en victoire d’étape. » La chute est claire : « Le feuilleton Ségo n’est pas terminé. »

L’article local rappelle qu’à Montréal, les 32.000 Français ont voté à 54% pour la candidate socialiste. Tout est à front renversé, puisqu’ici ce sont les militants UMP qui se plaignent de la façon dont leur candidat a été traité dans les médias : selon Khadija Doukali, « organisatrice de l’UMP », « la campagne n’a pas été très citoyenne. Certains médias ont été biaisés, notamment Radio-Canada. C’était flagrant : l’émission de Christianne Charrette était constamment en faveur de Ségolène Royal. Ce n’était pas subtil. » On sait dorénavant qu’Arnaud Lagardère et Martin Bouygues ont trouvé plus fort qu’eux : Christianne Charrette.

Dans Le Devoir, on trouve une autre explication au succès de Ségolène Royal à Montréal. Selon François Lubrina, « représentant de Nicolas Sarkozy au Québec, les Français vivant au Québec sont souvent des étudiants, naturellement plus à gauche, ou encore des personnes âgées dépendant encore de certains services sociaux assurés par la métropole. M.Lubrina a aussi fait allusion à un certain vote “féministe”, qui aurait favorisé ici une femme au pouvoir, indépendamment du programme qu’elle défend. »

Dans le journal anglophone The Globe and mail, l’élection française n’occupe, hormis la une, même pas une demi-page en rubrique « Monde ». Pour le journal, « the problems facing France are difficult, but not profound. » Fermons le ban : il est temps de se pencher sur les 75% d’écoles qui ont un fast-food à proximité.

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