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« Je pense qu’il ne faut pas faire un édito... »

« Je pense qu’il ne faut pas faire un édito... »

« Je pense qu'il ne faut pas faire un édito... »
Mis en ligne le lundi 9 juillet 2007 ; mis à jour le mercredi 22 août 2007.

Licence: CC By-Nc-Sa
Publié dans le numéro III (juin 2007)

« Le Monde dans l’arène (premier tour) », documentaire de Michel Samson et Jean-Louis Comolli, diffusé sur Arte, le 8 mai 2007.

Comité de rédaction, nombreuses personnes autour de tables, des micros pour les prises de paroles.

Éric Fottorino, directeur de la rédaction - Je pense que il ne faut pas faire un édito prescripteur sur... voilà, votez Sarko, ou votez Ségo, ou votez Bayrou. Cela étant, pour moi, un, il est évidemment normal que le directeur s’exprime à ce moment-là, à ce moment politique du pays, et que deuxièmement on soit assez clairement sur nos valeurs, là je vois ce qui était énuméré tout à l’heure sur l’Europe, sur les libertés, etc. Moi je pense que c’est plutôt ça qui est attendu par nos lecteurs.

Franck Nouchi, rédacteur en chef - J’aimerais qu’on prenne toute la mesure du danger que représente encore aujourd’hui Jean-Marie Le Pen au premier tour de cette élection présidentielle, car danger il y a. Ça c’est la première chose que je voulais dire. La deuxième : il me semble qu’il y a quelque chose de nouveau et de grave là aussi. Je veux parler de la déclaration réitérée à mainte reprise de la part de Nicolas Sarkozy de vouloir créer un ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration. Pour moi là il y a une ligne rouge qui a été franchie. C’est pour ça que ça me fait penser que éditorial il doit y avoir, et que cet éditorial, avant même le premier tour doit signifier qu’il y a en tout cas quelque chose qui est, pour moi en tout cas, totalement inacceptable, qui est donc cette volonté de créer ce ministère, avec tout ce que ça comporte comme dit et comme non-dit.

[...]

Jean-Marie Colombani, directeur de la publication - Il est difficile de vous éclairer sur-le-champ. Je pense qu’on va rentrer dans une période où les cartes du pays vont être battues, et aussi qu’on entre dans une période, qui, sur le plan de l’évolution en profondeur de la société est une période dangereuse pour nous, Le Monde, parce que nous allons être le plus souvent, trop souvent peut-être aux yeux du reste de la société, à contre-courant, et que un certain nombre des valeurs qui sont les nôtres pourront être, comme on l’a vu déjà une première fois à l’occasion du référendum sur la constitution européenne, pourront être malmenées dans la société telle qu’elle est. Et j’y inclue la question des libertés dont on voit bien aujourd’hui, dans la tonalité ambiante à quel point l’air du temps n’est plus libertaire, l’air du temps est autoritaire, et je pense que pour nous il faudra qu’on y réfléchisse sérieusement. Donc en tout cas pour les années qui viennent il faudra s’armer de ce qu’est la nature profonde de ce journal pour pouvoir y faire face. Je me sens habité depuis longtemps et je continue de l’être par les valeurs que porte cette maison, et j’essaierai du mieux possible d’être à la rencontre des valeurs que cette rédaction souhaite continuer de porter.

[...] 

Autre comité de rédaction, tous debout.

Jean-Marie Colombani - L’éditorial tient en quelques lignes. Bon, le fond c’est de dire que voilà le pays a beaucoup souffert des non-choix de 2002. Donc il faut impérativement que les Français retrouvent les éléments d’un choix clair, une confrontation claire, donc l’obsession étant d’éviter un nouveau... enfin il faut pas que le 22 avril ressemble en quoi que ce soit au 21, donc ça suppose qu’il faut que Ségolène Royal soit au deuxième tour. Je pense que ma prise de position sera celle-là. (Murmures, sourires autour de lui. Question de loin : « Un édito anti-Bayrou ? ».) C’est un édito qui considère plutôt Bayrou comme un élément d’une primaire à droite, en effet.

[...]

À la maquette, devant un écran.

Jean-Marie Colombani (à Éric Fottorino auprès de qui il vient voir la page montée où figure l’édito titré «Impératif démocratique».) - Ça va ?

Éric Fottorino - Oui. C’est bien ton édito. Impeccable.

Jean-Marie Colombani - Je me demandais s’il ne fallait pas un titre un peu plus pugnace du coup sur le thème « Pas de... », « Halte au... », je sais pas quoi, un truc autour de la date du 21 avril ?

Éric Fottorino - Non, mais ta première phrase fait ça. Dès lors que tu dis le 22 avril peut pas être le 21, tu vois... Non, c’est bien. Ça fait plus Monde quand même, ça fait plus nous.

[...]

Au journal.

Patrick Roger, journaliste qui a suivi la campagne de François Bayrou - Le problème est que l’on ne s’engage pas en faveur de tel ou tel candidat, mais que l’on s’engage en faveur de deux candidats. Tout autre choix serait anti-démocratique, puisque l’impératif démocratique est que ces deux candidats soient au second tour. Et la question que je me pose, si d’aventure, ces deux candidats que l’on souhaite voir figurer au second tour n’y étaient pas, si d’aventure, donc en l’occurrence François Bayrou était qualifié pour le second tour. Qu’est-ce que l’on va titrer lundi dans le journal ? Est-ce que l’on titrera que la démocratie en échec ? Est-ce que l’on titrera que la démocratie en danger ? Voilà pourquoi, cet éditorial, moi, m’a profondément choqué. Évidemment, François Bayrou a très mal pris cet éditorial, il a dit qu’il avait ressenti cet éditorial comme un coup de poignard. Il a publiquement pris à parti le journal, son directeur de la publication, donc Jean-Marie Colombani, et ce qu’il a appelé ses commanditaires. Donc c’est une situation un peu délicate. Ce qui est encore plus délicat, je l’avoue, c’est quand dans un meeting de l’UDF dans lequel de toute évidence, il y a de fidèles lecteurs du journal, le nom du journal est hué, j’avoue que c’est un sentiment assez déplaisant. Une des caractéristiques de cette campagne, ce que j’ai observé, ce qui se dégageait, c’est une sorte de chaleur, de générosité, de solidarité. D’un coup je me dis est-ce que finalement il n’y avait là qu’un masque ? Est-ce que derrière ce masque se cache ce qu’on appellerait un populisme light, et que pendant ces six mois de campagne je n’avais pas réussi à voir ? Je n’arrive pas à y croire. Donc je pense que là, on est passé à côté de quelque chose et avec le risque simplement que l’on se coupe d’une partie de notre lectorat.

 

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