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Le son et l’image, 2

Le son et l’image, 2

Le son et l'image, 2
Mis en ligne le vendredi 26 novembre 2010 ; mis à jour le mardi 7 décembre 2010.

Publié dans le numéro 09 (5-18 juin 2010)

« C’est à mi-octobre 1998 que s’est produit le déclic : je donne une série de concerts au Théâtre des Champs-Elysées à Paris et durant la répétition, je m’emmerde, je me demande ce que je fais là, et je décide de me donner cinq ans pour quitter ce grand cirque, décision à laquelle je me suis tenu. » Pour clore le « grand cirque », un dernier numéro. J’écrivais, à propos des carcasses de piano jetées au fond du lac du Mercantour et du lac Léman du haut d’un hélicoptère : « les archéologues du futur croiront sans doute au naufrage d’un paquebot ». Hélas ! On ne lance pas impunément un Steinway au milieu des poissons. Alexandra Ploussard, qui travaille pour Jacques Thelen, l’agent de Duchâble, me raconte qu’il a fallu ressortir lesdites carcasses. Et que le souhait du pianiste de brûler son queue-de-pie a été contrecarré par les pompiers locaux. Elle me parle aussi de Fauteuils d’orchestre, un film de Danièle Thompson où le personnage incarné par Albert Dupontel est ouvertement inspiré de la vie de François-René Duchâble, qui a prêté ses mains pour la circonstance - jouant tordu sous le piano pour doubler certaines scènes, sauf une : « durant un mois, Albert Dupontel s’est exercé pour jouer ce qui correspond à deux lignes du concerto n°5 de Beethoven », dit le dossier de presse. Quatorze mesures.

Je vais au café du commerce virtuel, sur le site spécialisé pianomajeur.net, écouter au comptoir ce qui se dit de FRD. La parole à la défense : Quelqu’un qui arrète une carrière c’est un caprice de star ? On mange pas les mêmes rillettes. Le camp adverse réplique : Quelqu’un qui arrête une carrière, il fait comme tout le monde et il offre un pot à ses futur ex-collègues. Quand il en fait toute une affaire pour qu’on en parle bien dans la presse, ça devient un caprice de star. La mauvaise foi s’en mêle : eh oui, le bonhomme qui critique que la musique soit principalement pour les « riches » et qu’il faut l’amener aux plus pauvres, se permet de jeter 100.000 euros dans un lac, le tout depuis un hélico (pas donné non plus), mauvaise foi couronnée par la phrase : Mais ça reste un très bon pianiste (malheureusement). Un internaute arrive à la rescousse avec un argument inattendu : Tu connaitrais un peu sa vie, tu changerais d’avis. C’est quelqu’un de très simple, qui habite à la campagne et qui élève des ânes. J’habite un coin où il y a pleins de haras et les gens sont d’ une fierté insupportable avec les chevaux et leur semence à 100.000 euros. Tandis qu’élever des ânes, la perspective est différente. La grâce de l’âne au secours de Duchâble, courbé lui aussi sous un accent circonflexe. Nouvelle pierre à l’édifice psychologique, le traditionnel « quelqu’un connaît quelqu’un qui le connaît » : Hier, par hasard, j’ai rencontré un ami de F-R. Duchâble. J’avais amené ma voiture au garage à Objat et juste à côté, j’ai aperçu un magasin de pianos qui venait d’ouvrir ! Bien sûr, j’ai été essayer les pianos et j’ai discuté avec le commerçant et de fil en aiguille, il m’a dit qu’il y a quelques années, il avait parcouru le lac d’Annecy avec Duchâble sur un radeau avec un piano dessus, jouer devant le public qui était la plupart du temps en maillot de bain.

L’élitisme du public classique ? « Il a le mérite d’être l’un des seuls à se poser la question », me dit Alexandra Ploussard. Je me heurte de plein fouet au bon vieux dilemme du journalisme : l’anecdote la plus savoureuse qu’elle me raconte, je ne me sens pas le droit de la retranscrire sans avoir eu l’aval du principal concerné. Je me rabats sur les mots de Duchâble en interview : « Mon père venait le soir s’assoir sur le bord de mon lit et faire le bilan de la journée : « on a bien travaillé, demain on taillera la haie ». C’était mon bonheur mais ce n’était pas mon destin, jamais je ne serais jardinier. [...] J’ai perdu mon père à l’âge de 8 ans ; je me suis senti le devoir d’aider ma mère, du moins de ne pas lui compliquer la vie, aussi ai-je sans doute été trop docile. Et puis les réussites étaient au rendez-vous : premier prix par-ci, plus jeune nommé par là, et toujours avec un minimum de travail. Bref, chaque fois que j’aurais pu faire machine arrière, j’étais entrainé malgré moi. En 1973, à l’age de 21 ans, je rencontre Rubinstein, qui, en me prenant sous son aile et en m’ouvrant les portes des grandes salles de concert, devient en quelques sortes le premier geôlier officiel de ma carrière. Je découvre la réalité de cette vie qui n’est pas la mienne, l’horreur des tournées, des enchainements de concerts, de cette existence répétitive. Et je m’aperçois que Rubinstein ce vieillard merveilleux tout en humour, vit lui même un drame personnel, taraudé qu’il est par la grande question : quand faut-il s’arrêter ? »

Je me rabats enfin sur la seule façon de parler des gens avec un semblant de vérité : la littérature, l’intimité. Les lignes tendres et cruelles de George Sand à Pauline Viardot, à propos de Chopin. On est en 1841, il n’a pas donné de concert depuis 1832 : « Une grande, grandissime nouvelle c’est que le petit Chip Chip va donner un grrrrrrand concert. Ses amis le lui ont tant fourré dans la tête qu’il s’est laissé persuader. [...] A peine avait-il lâché le oui fatal, que tout s’est trouvé fait comme par miracle, et que les ¾ de ses billets étaient pris, avant qu’on eut même annoncé, alors il s’est réveillé comme d’un songe, et l’on ne peut rien voir de plus drôle, de plus méticuleux et irrésolu Chip Chip, obligé de ne plus changer d’avis. [..] Ce cauchemar chopinesque se passera dans les salons de Pleyel le 26. Il ne veut pas d’affiches, il ne veut pas de programmes, il ne veut pas de nombreux public. Il ne veut pas qu’on en parle. Il est effrayé de tant de choses que je lui propose de jouer sans chandelles et sans auditeurs sur un piano muet ». La semaine prochaine, concert de FRD à Strasbourg autour de Chopin, né en 1810 - les célébrations aiment les soustractions qui donnent des chiffres ronds. Je dois passer dans l’arrière-scène.

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