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Ce n’est pas du chinois pour les Chinois

Enseignes commerciales

Ce n’est pas du chinois pour les Chinois

Ce n'est pas du chinois pour les Chinois
Mis en ligne le jeudi 6 décembre 2007 ; mis à jour le mardi 4 décembre 2007.

Publié dans le numéro V (septembre 2007)

Les enseignes de magasins chinois de Paris sont bien souvent mystérieuses... Wenling Liu nous donne quelques clefs pour les comprendre : des détails qui sont destinés à la communauté chinoise, et qui font qu’un habitant de Wenzhou ou un autre de Canton ne fréquentent pas les mêmes endroits. C’est aussi l’occasion de rappeler l’histoire de l’implantation géographique de la communauté asiatique à Paris, où les réfugiés politiques côtoient les migrants économiques dans les trois Chinatown de la capitale : les avenues de Choisy et d’Ivry, les Arts-et-Métiers, et le quartier de Belleville.

Photos : Sophie Leng 

Durant la Première Guerre mondiale, pour faire face à la pénurie de main d’œuvre, la France fait appel à plus de 100 000 travailleurs chinois. Ils viennent de Qingtian et de Wenzhou, villes du sud de la Chine, dans la province rurale du Zhejiang. Si la majorité de ces Chinois retourne en Chine dans les années 1920, quelques milliers restent à Paris : ils s’installent dans l’îlot Chalon, dans le quartier de la gare de
Lyon, qui devient ainsi le premier Chinatown de Paris. Il n’en reste aujourd’hui aucune trace, le secteur ayant été démoli pour faire place à des bureaux, si ce n’est une plaque commémorative posée en 1988 à la mémoire des Chinois de la Grande Guerre.

enseignes 

Dans les années 1930, les Chinois du Zhejiang de la gare de Lyon se déplacent vers le IIIe arrondissement, et plus précisément vers le quartier des
Arts-et-Métiers, autour de la rue au Maire et de la rue des Gravilliers, de la rue Chapon, de la rue des Vertus et de la rue des Archives. Ils se spécialisent dans le commerce de la maroquinerie auprès d’artisans juifs et polonais du Marais. Or, pendant la Seconde Guerre mondiale, la déportation des Juifs va laisser vacant le secteur : les Chinois reprennent les commerces et s’établissent dans le quartier comme grossistes,artisans maroquiniers, ou encore restaurateurs. Le IIIe arrondissement est donc aujourd’hui le quartier chinois le plus ancien de Paris — mais aussi le moins visible, car les devantures sont davantage francisées. À partir des années 1990, en raison d’un manque d’espace dans le quartier, les Chinois des Artset-Métiers s’installent à Belleville. Le quartier de Belleville est un vieux quartier populaire d’immigration, à cheval sur quatre arrondissements. L’implantation des commerces asiatiques se concentre principalement dans la partie neuve reconstruite vers le milieu des années 1970, délimitée par les rues de Belleville, Rampal, Rebeval et Jules-Romains. C’est dans cet îlot que se sont notamment installés depuis le milieu des années 1980 les Chinois exerçant des professions libérales. Un peu plus au nord, presque aux portes de Paris, une troisième agglomération chinoise, la moins peuplée, se situe entre le boulevard de la Chapelle et le boulevard Ney, à la jonction de quatre rues : Ordener, La Chapelle, Marx-Dormoy et Riquet, à partir de la petite place de Torcy.

Le quartier asiatique au XIIIe arrondissement, avec en son centre le triangle formé par l’avenue de Choisy, l’avenue d’Ivry et le boulevard Masséna, est le plus grand Chinatown d’Europe. Hormis les commerces traditionnels qui restent les plus nombreux, restaurants et bazars, on trouve également des salons de coiffure, pressings, salles de jeux, cinémas, ateliers de confection, cabinets d’assurances... Le XIIIe arrondissement est ainsi devenu le cœur de la communauté asiatique de Paris. La majorité des Asiatiques du quartier « sont, quelles que soient leurs nationalités juridiques, des Chinois. Ils appartiennent aux minorités chinoises qui se sont installées à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe siècle dans toute l’Asie du SudEst, la “Méditerrannée Asiatique” et tout particulièrement dans l’ancienne Indochine française (1) ».

L’installation de Chinois de Chine dans le XIIIe arrondissement remonte aux année 1920. À l’époque, quelques étudiants chinois s’y installent et créent, avec Zhou Enlai, la section française du parti communiste chinois. Un demisiècle après, le XIIIe arrondissement devient le lieu d’accueil des refugiés politiques venus d’Asie du Sud-Est. Au cours des années 1970, suite à l’instauration d’un régime communiste au Vietnam, les réfugiés politiques sont les premiers immigrants à s’y installer. La guerre civile au Cambodge et le communisme au Laos apporteront d’autres vagues d’immigration venues d’Asie du Sud-Est : c’est autour de 1975 que le premier noyau des Chinois originaires du Cambodge, ou Sino-Khmers, s’est établi dans le quartier. Ces réfugiés occupent une partie des tours neuves de l’opération Italie 13, où il y a alors abondance de logements disponibles, suite à leur désaffection par les travailleurs français. Les tours de la porte de Choisy et de la porte d’Ivry fournissent aujourd’hui encore l’essentiel des logements de la communauté asiatique de Paris. Contrairement aux apparences, le quartier n’est cependant pas habité majoritairement par des Asiatiques. Le XIIIe arrondissement est en outre souvent considéré comme une étape transitoire lors de l’arrivée en France. Les personnes arrivées au cours des premières vagues d’immigration sont ainsi parties vivre, en raison de l’élévation des loyers dans les années 1990, à Belleville ou dans les banlieues du nord-est de Paris.

 

 

Fleurs de Mai 

Restaurant Fleurs de mai

Avenue de Choisy. Paris XIIIe arr.
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Le caractère chinois cun, qui signifie « village », témoigne du fait que le propriétaire appartient à la première génération d’immigrants chinois à Paris : cun est une graphie qui a été éliminée dès 1956 en Chine continentale en faveur de sa variante plus courante lors du Projet de schéma de simplification des caractères chinois ( ). Les élèves chinois des années 1970 apprennent le système d’écriture simplifié. Ainsi, s’il est naturel que la première génération d’immigrants utilise les caractères traditionnels, et que l’on trouve donc ces caractères dans le XIIIe, l’usage de ces mêmes caractères par des Chinois arrivés dans les années 1990 à Belleville est une claire référence à la tradition.

 

 

La Grance Muraille 

Restaurant La Grande Muraille
Rue Volta. Paris IIIe arr.
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Ce restaurant propose des spécialités chinoises, vietnamiennes et thaïlandaises. De plus, les caractères chinois signifient restaurant La Prospérité perpétuelle et ne sont donc pas une traduction du nom français. C’est un exemple de restaurant visant le public le plus large possible.

 

 

Whenzhou 

 
Traiteur Wenzhou
Rue de Belleville. Paris XIe arr.
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Ce traiteur affiche dans son nom sa région d’origine afin d’attirer les gens de la ville de Wenzhou, comme en témoigne le propriétaire : « Au début, il n’y avait pas de restaurants gérés par les Wenzhouais, rien du tout, or il habitait beaucoup de Wenzhouais ici, donc nous avons, dans le but d’attirer principalement des Wenzhouais, ouvert ce restaurant. » Les immigrés venus de Wenzhou ont été les premiers Chinois à venir en France comme main-d‘œuvre pendant la Première Guerre mondiale. Dans les années 1980, l’immigration économique des Chinois de Wenzhou a repris, facilitée par l’existence des réseaux déjà implantés en France.

 

 

Wong Heng 

Wong Heng
Sortie du métro Porte de Choisy. Paris XIIIe arr.
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Les idéogrammes ont un seul et même sens en langue standard (le chinois mandarin) et dans tous les dialectes chinois : ils sont donc compréhensibles par l’ensemble de la communauté chinoise. En revanche, leur transcription phonétique en alphabet latin est associée à la prononciation de tel ou tel dialecte : on peut ainsi distinguer s’il s’agit de chinois de Taïwan, de Canton, etc. Ici, le nom du restaurant (« Prospérité et richesse ») n’est pas transcrit en mandarin wangxing mais wong heng : les propriétaires sont de Canton.

 

 

Etoiles Souvenirs 

Boutique Étoile Souvenirs
43 rue du Temple. Paris IIIe arr.
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La loi Toubon du 4 août 1994 relative à la langue française impose à « toute inscription apposée ou faite sur la voie publique » d’être « formulée en langue française ». C’est ce qui explique la double écriture systématique (idéogrammes/alphabet latin) des restaurants et commerces chinois. Dans le quartier des Arts-et-Métiers, la législation de la mairie de Paris s’avère plus contraignante encore en ce qui concerne les magasins de gros : les idéogrammes sont tout simplement interdits — sans que nous ayions trouvé le texte de loi sur lequel cette interdiction repose. Cette règle tacite explique que le IIIe soit le plus discret des Chinatown de Paris. Le propriétaire de la boutique Étoile affirme que « selon les autorités, les magasins de gros ne visent pas seulement les Chinois, n’est-ce pas, alors... » Ce propriétaire a choisi de payer une amende forfaitaire pour conserver son enseigne en écriture chinoise. C’est désormais la seule boutique de la rue du Temple à afficher des idéogrammes.

 

 

 

Rong Fa 

Boutique Rong Fa
47 rue au Maire. Paris IIIe arr.
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L’obligation d’écrire en « français » se résume dans les faits à l’obligation d’écrire en alphabet latin... Ainsi le nom « Rong Fa » est-il une transcription phonétique en pinyin du terme chinois signifiant « prospérité et fortune »... mais ne signifie strictement rien en français. Dès lors, on se demande quel est le but avoué de cette législation, qui semble sous-entendre que l’emploi d’autres systèmes d’écriture constitue une sorte d’« affront visuel ».

 

 

Li Liane Sacs

Boutique Li Liane
38 rue au Maire. Paris IIIe arr.
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La boutique de maroquinerie Li Liane, soumise à la même législation, joue quant à elle sur un double sens : les Français retiennent le prénom « Liliane », cependant que les Chinois entendent la transcription phonétique de l’idéogramme signifiant « la beauté ».

 

 

 

Temple Céleste 

Restaurant Temple Céleste
9 rue Volta. Paris IIIe arr.
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C’est l’un des plus anciens restaurants chinois de Paris ; il existe depuis les années 1970. Les duilian, inscriptions verticales parallèles sur le portail rouge, sont typiques des vieux quartiers de Pékin. Ils signifient ici : Les paysages magnifiques du Palais d’Été ont été transmis miraculeusement ; les visiteurs élégants du Temple du Ciel entrent en un flot ininterrompu.

 

 

ET C’EST COMME ÇA QUE J’AI ABOUTI À « JARDIN SUSPENDU »
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extrait d’un entretien de Wenling Liu avec le propriétaire d’un restaurant chinois parisien, établi en France depuis dix ans.

Pour moi, l’enseigne, d’abord doit représenter le désir du propriétaire ; deuxièmement, puisqu’une enseigne, c’est pour montrer aux autres, il faut les laisser ressentir quelque chose en la voyant. Donc le nom du magasin est très important, il faut le traiter avec prudence. [...] Au commencement, j’ai eu d’abord le nom français de mon restaurant, et puis, j’y ai ajouté la traduction chinoise. Le nom de mon restaurant, Hongyonju (“Au jardin suspendu”) est un peu particulier. Au début, j’avais plusieurs possibilités, tel que lou (“bâtiment”), ge (“pavillon”), mais là on tombe dans la banalité, dans ce qu’on voit partout. Il n’y a pas d’originalité, ces motslà ne vous distinguent pas des autres. Tandis que moi, je voulais me différencier des autres pour que ça ne soit pas banal. Afin de me singulariser, j’ai fait très attention lorsque j’ai traduit l’appellation française en chinois. Je voulais montrer aux gens que le propriétaire du restaurant était quelqu’un d’intellectuel, une personne ayant certaines aspirations. Hongyunju (“Au jardin suspendu”), ce n’est pas comme Fushoulou (“Pavillon de bonheur et longévité”) ou Jinlong (“Dragon d’or”), et cætera, qui montrent que le propriétaire ne pense qu’à l’argent et ne possède aucune connaissance culturelle et littéraire. Rien qu’avec leur enseigne de restaurant, on peut imaginer ce qu’ils poursuivent comme but dans la vie : tout simplement ce qui est écrit sur l’enseigne — le bonheur, la longévité, l’argent. De mon côté, en traduisant en chinois le nom français, je me suis dit qu’il fallait remettre en relief la distinction entre le chinois et le français. Bien sûr, le nom que j’ai choisi a plusieurs connotations. Hongyun (“nuage massif”) est l’homonymie de Hong yun (“fortune prospère”). Le nom français vient d’un détail géographique. Avec une terrasse à l’arrière, le nom du restaurant pouvait être “restaurant-terrasse” ou quelque chose comme ça, et c’est comme ça que j’ai pensé au mot “jardin”. Or mon local se trouve au premier étage et non au rez-de-chaussée. Voilà d’où vient l’adjectif “suspendu”, et c’est comme ça que j’ai abouti à “jardin suspendu”. Mais comme les jardins suspendus sont l’une des sept merveilles du monde, je ne pouvais pas appeler mon restaurant “jardin suspendu”, comme un nom propre. Donc j’ai ajouté la préposition “au”. Et voilà, c’est le nom de mon restaurant. “Au restaurant suspendu” se traduit mot à mot en chinois par Kongzhong huayuan (“jardin en l’air”). Mais il y a la proposition “au”, or il était impossible de l’appeler Kongzhong huayuan ju : ça ne sonne pas harmonieusement. Donc j’ai opté pour une métaphore : hong est l’oie sauvage ; yuan (“nuage”) signifie “qui n’est pas à terre”. Dans un jardin, on peut avoir des oiseaux, des nuages, et donc, voilà, mon restaurant s’appelle Hongyunju.

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