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Disette (janvier 2011)

Disette (janvier 2011)

Disette (janvier 2011)
Mis en ligne le mardi 15 mars 2011.

Publié dans le numéro 001 (janvier 2011)

La réputation du fort de Vincennes n’est plus à faire. Dans ses fossés, le duc d’Enghien a été assassiné. Y a longtemps siégé le Tribunal Permanent des Armées. De mémoire et de plume, le lieu suinte le bannissement.

Pour les trois jours des apprentis bidasses, les complots occultes et les sessions de recrutements sauvages en contre-espionnage, le fort a toujours servi, à proximité de la capitale, de verrou vers l’Est, de cachot privilégié et de réserve souterraine. La DST y a longtemps séjourné.

La cartoucherie nationale dont une troupe de théâtre a fait son blason, tout du bois et de son donjon respire l’emprise militaire. Que ce lieu, lice d’exploits dans ses travées de passes hot mêlant de grandes gigues travelos à la misère d’amateurs en maraude, ait été choisi pour abriter le centre de rétention des futurs expulsés n’a rien d’étonnant.

Troisième élément d’une chorégraphie boiteuse ou au contraire trop huilée, l’opération Monsieur Propre de ces dernières semaines, touchant les cabanons précaires d’une trentaine de personnes. L’histoire racontée dans la presse du « baron Louis » qui a su ingénieusement bricoler son home est exemplaire d’une politique d’aspiration. L’ingéniosité des indigents est dérangeante. Karcherisation. Essorage. Comme si le bois pouvait être propre et rendu à son opacité de chasse royale. Que des manants osent se prendre en main et refusent les services sociaux, la mise sous tutelle et le baguage, il faut faire place nette et que les demandeurs soient en file indienne nombreux. Recevoir ses potes et se soucier des chats une fois expulsé, refuser la charité, ne compter que sur soi et ignorer la taxe foncière, mais quelle idée !

Autre flanc du symptôme de la féodalité pétaradante, le zoo de Vincennes. Au moment où l’on chasse des sans abri abrités, resserre le garrot sur des sans papiers interpelés et reconduits dans des avions cargos à leur pays d’origine, l’on alloue 135 millions d’euros à la rénovation du zoo. Bois de l’arbitrage royal où les renards et les chouettes tapissent le fond d’écran, les anses portuaires pour ours blasés vont être rebaptisées par Bernard Tschumi, l’archi de la Villette. Abattoirs ou forts de rétention, tout est question de style.

Le symptôme du concassage gît là : expulser de mauvais témoins, des irrédentistes, du bail à deux pas de notre Guantánamo. Bétaillère à tous les étages. Belle réussite, full à la majeure pour notre collectionneur de vieilles voitures qui répète en boucle  : « Je vous ai déjà dit de ne pas manger dans la Torpédo. »

Putes, clodos, comédiens, où est le Jacques Callot qui va nous graver les turpitudes d’un lieu qui concentre l’aberration d’une République meurtrie à force d’abjection ? Arène de gladiateur où le sans lieu et le sans patrie s’entend dire qu’il n’a pas sa place, qu’un animal en voie de disparition a plus de valeur que sa requête mutilée. La barbarie n’a même plus besoin de se maquiller.

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