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Jeux-concours et politique

Jeux-concours et politique

Jeux-concours et politique
Mis en ligne le samedi 1er mars 2008 ; mis à jour le jeudi 29 mai 2008.

Publié dans le numéro VIII (mars-avril 2008)

Bien avant la télévision et la radio, la presse de grande diffusion invente, à l’extrême fin du XIXe siècle, les jeuxconcours destinés à divertir les lecteurs et stimuler l’audience des journaux. Parmi les toutes premières épreuves se singularisent les « concours électoraux », jeux invitant les concurrents à pronostiquer les résultats des élections législatives. Grand expérimentateur d’événements promotionnels et de coups de bluff journalistique, Le Figaro imagine le premier ce type de combinaison. Dans son édition du 12 avril 1902, il propose à son lectorat un concours qui relève à la fois du jeu, du sondage politique et l’acte civique. Écoutons-le : « Le Figaro, “qui se hâte de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer”, voudrait jeter dans ce débat une petite note cordiale et gaie à l’intention de ces innombrables Français — le groupe le plus considérable du pays assurément — qui, tout en remplissant leur devoir de citoyen, tout en accordant l’importance qu’elle mérite à cette grande consultation nationale, engagent volontiers des paris sur son issue, et le comparent à une sorte de sport solennel, où il n’est pas interdit, comme sur le moindre champ de courses, de faire des pronostics. » L’argumentaire est simple. Dans la mesure où les élections législatives constituent une compétition, les lecteurs-électeurs ont le droit d’y participer par le biais détourné du jeu médiatique. Qui dit jeuconcours dit prix. Ici aussi, Le Figaro innove en annonçant 115600 francs de prix, tous en espèces, dont un prix spécial de 100000 francs (soit environ 400000 euros d’aujourd’hui) au lauréat qui aura parfaitement répondu à toutes les questions. Ces sommes d’argent dépassent allègrement les gains des concours organisés, à peu près au même moment, par les périodiques concurrents. Le montant total des prix équivaut à 23120 fois le salaire quotidien moyen d’un ouvrier parisien d’alors, soit grossièrement la moitié de sa vie de labeur, ce qui a de quoi faire fantasmer et frapper l’imagination des contemporains. Dans la société de la Belle Époque où la richesse est souvent un héritage familial et où l’enrichissement par le jeu est immoral, les gains annoncés par Le Figaro perturbent les représentations socioculturelles. Signalés par des tracts publicitaires distribués dans la rue et par des articles alléchants publiés en première page, ils servent d’appât puissant pour le quotidien qui cherche à captiver le plus grand nombre de joueurs. La séduction se comprend quand on mesure la difficulté des questions posées. Les concurrents doivent deviner le nom des prochains députés de leur département, entrevoir la victoire ou la défaite pour plusieurs figures politiques en campagne, prédire le nom des candidats élus dès le premier tour de scrutin. Participer à ce concours suppose une bonne connaissance de la vie parlementaire et des rapports de force dans chaque circonscription, des capacités d’analyse et d’interprétation dignes des meilleurs journalistes et sondeurs actuels. Afin d’aider les joueurs, Le Figaro publie la liste complète des candidats, qualifiée de « guide électoral le plus impartial et le plus complet », propose des modèles mathématiques censés donner les résultats et révèle les conseils d’une voyante extralucide à laquelle se seraient confiés les esprits. 14 000 personnes auraient envoyé un bulletin au journal. Toujours est-il qu’aucune d’entre elles ne remporta le grand prix de 100000 francs. Ayant perdu une partie de son lectorat durant l’affaire Dreyfus, Le Figaro innove en matière de divertissement et ainsi frappe un grand coup. Afin de conserver sa position et ses lecteurs, le grand quotidien développe un traitement décalé et consensuel de la politique. L’initiative, qui suscita d’autres « concours électoraux » jusqu’à la Première Guerre mondiale, témoigne d’une spectacularisation par le jeu du rite démocratique.
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