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Quand Lamia rencontre Emilia

Quand Lamia rencontre Emilia

Quand Lamia rencontre Emilia
Mis en ligne le jeudi 6 janvier 2011.

Publié dans le numéro 33 (sept.-oct. 2009)

Campagne publicitaire affichage, presse écrite, Internet, mai 2009

 


 

C’est assurément l’existence de quotas aux critères très sévères (fille + 95D) qui a voulu que dans le James Bond intitulé Le monde ne suffit pas (1999), le Dr Christmas Jones, spécialiste en armes nucléaires, ne soit autre que l’actrice Denis Richards. Quoi ! On ne peut donc pas avoir été l’héroïne de Sexcrimes, trimballer son nombril avantageux à l’air et ses seins plus avantageux encore sous un fin tissu blanc, tout en étant crédible dans une mission de désamorçage d’anciennes ogives nucléaires pour sauver le monde de l’affreux Renard ? A croire que les mentalités n’évoluent guère : Denise Richards a été élue « pire James Bond girl [des 21 premiers James Bond] » en 2008, son rôle de spécialiste en physique nucléaire ayant été jugé « peu crédible ».

 

 

 

Grâce à EDF, ce triste état de fait est en passe de changer. Ou plutôt grâce à Lamia Gasmi de chez EDF, pour qui changer l’énergie, se conjugue au féminin. Passons sur la drôle de ponctuation - la virgule surnuméraire. Lamia Gasmi existe vraiment, voyez plutôt : « Division Production Nucléaire. Délégation Ressources Humaines et Management ... Courriel : lamia.gasmi@edf.fr. Tél. + 33 (0)1 43 69 35 46 ». Lamia Gasmi, donc, c’est que l’égalité homme-femme, c’est aussi cela : féminiser le nucléaire.


« Les femmes, moins tentées par le nucléaire ? Elles y sont sûrement encore trop peu nombreuses. Les préjugés tendent heureusement à disparaître, bousculés par une meilleure information, de belles réussites et de réelles opportunités. De 3% à 13% de femmes dans les effectifs selon les pays.

Le problème n’est pas celui de l’accessibilité des métiers aux femmes, expliquent les industriels du secteur. C’est leur perception du nucléaire qui diffère, un déficit d’image lié le plus souvent à un manque d’information, une vision datée des métiers [NDLR : les femmes, plus sensibles, seraient-elle bêtement restées bloquées sur Hiroshima ?]. «C’est d’autant plus dommage que le renouvellement des compétences offre de réelles opportunités», précise Lamia Gasmi, chargée de mission à la Division Production Nucléaire du Groupe EDF. «Le taux des candidates retenues parmi les candidates présentées lors des campagnes de recrutement est de 90%. Pourtant, dans les métiers techniques, nous n’avons encore que 15% de candidatures féminines alors qu’elles représentent 25% des jeunes diplômées des formations correspondantes». »1


Ainsi donc, Lamia Gasmi, aidée de la section française du réseau WIN (Women In Nuclear) informe sur les métiers et leur accessibilité. « Nous lançons également avec WIN France le prix Fem’energia ». Sur le site du Prix fem’Energia 2009, on trouve cette offre (alléchante ou pas, on vous laissera juge) : « Vous travaillez dans le nucléaire, et avez moins de 35 ans ? [...] Gagnez un voyage pour deux aux Etats-Unis ! Pour les « Femmes en activité » : un voyage pour 2 personnes aux États-Unis avec visite d’une centrale nucléaire. Pour les « Etudiantes » : trois bourses de 2000€, assorties d’une proposition de contrat d’apprentissage, de contrat de professionnalisation ou de stage dans une grande entreprise du secteur nucléaire. [...] »

Jusque là, soit. Une campagne de pub construite autour d’une série de portraits privilégiants une mise en scène de salariés du groupe, ainsi que le presque-quidam de couleur de service (Virgile Elana, « acrobate, voltigeur et musicien », « locataire exigeant ! ») et la star sportive (Alain Bernard, qui assène ce beau syllogisme : je nage dans des piscines olympiques = j’aime l’eau = je ferme le robinet). La mode est au témoignage « vrai de vrai de la vraie vie », l’agence Euro RSCG C&O le sait. On rigole doucement.


Puis on rit franchement. Une autre jeune femme ; celle-là s’appelle Emilia. La phrase d’accroche est incroyable de fausse candeur : C’est en Autriche qu’Emilia a vu une éolienne la première fois. Un psychanalyste ferait ses choux gras de cette accroche de conte de fées. Elle avoue (comme s’il s’agit là de quelque chose à avouer, donc de quelque chose de tabou) avoir été séduite [s’ensuivent les qualités physiques de l’éolienne]... Le conte de fée se poursuit : sept ans plus tard, le bonheur. Le mariage (cf. les bagues aux doigts : fiançaille, mariage), le bébé oh comme c’est mignon, et qui dit enfants dit quoi ? qu’Emilia se sent de plus en plus concernée par la protection de l’environnement. Réaliste, néanmoins : Même s’il n’existe aucun moyen de produire 100% d’énergie verte, l’éolien...

 

 

 

On croirait qu’on y est presque. 100%, c’est vrai, bon, c’est difficile, semble dire Emilia Visconti, mais, hein... Pour une salariée du groupe EDF, Emilia semble bien peu informée.

Lamia Gasmi se garde bien de l’instruire, et de lui dire que les presque 100%, ce n’est pas l’énergie verte qui les approche : c’est le nucléaire2. Puisque la France, avec 59 réacteurs nucléaires, est le pays n°1 du monde en terme de dépendance du nucléaire : 78% de son électricité en est issue. (Poulidor : la Lituanie, avec 70%). Evidemment, rappeler cela, ça ferait moche dans le paysage. Le jongleur et musicien éteint ses lumières, le sportif ferme le robinet, la jeune maman est écolo... et 80% de l’électricité est NUCLEAIRE. Boummmm ! Le bruit de la détonation dans la tête des gentils naïfs épris d’écologiquement correct.

Pour que le nucléaire soit vraiment le reflet de la société, on aimerait bien inverser les rôles. Lamia Gasmi est assurément une femme, donc peut-être déjà une mère. On imagine non pas (quand même !) un texte absurde telle que : C’est à Chinon que Lamia a vu une centrale nucléaire pour la première fois. Maman depuis peu, elle a à coeur la nucléarisation de l’environnement et donc la sensibilisation des petites filles aux énergies utiles... non, non, ce serait exagéré. Il faudrait quelque chose de vrai.


Précisément : on a la solution. Car fort heureusement, certains n’ont pas attendu EDF pour « faire en sorte que l’industrie nucléaire soit davantage le reflet de la société ». Le Tigre avait gardé sous la main un document exceptionnel, datant d’il y a deux ans, certes, mais reconductible : la Journée Portes Ouvertes du 2e Régiment de Dragons (Nucléaire, Biologique et Chimique). Distribué à la sortie d’un supermarché local, entre un tract pour une cave à vin et une apologie du Musée du Champignon (pas le nucléaire, l’autre), ce document exceptionnel donne enfin à toutes les émules de Lamia Gasmi LA solution à cette question cruciale : où amener son bout de chou pour l’intéresser au secteur nucléaire ? Et attention ! pas que les petits garçons, les petites filles, parité oblige. Le plan est édifiant. Entre la buvette et le grill, non loin de la pêche à la ligne et des poneys, voilà des jeux éducatifs comme on les aime : la « Pêche à neutrons ». Badaboum ! ...et, mieux encore, l’Enfumoir... à deux pas du Sudoku - peut-être les Japs’ sur qui larguer la bombe ?


 

notes

1. Sur le site d’EDF , même gêne et même euphémisme : « Aujourd’hui, le nucléaire apparaît de plus en plus [ndlr : c’est nous qui soulignons] comme une source incontournable d’énergie. Cette filière en plein développement recrute et propose des métiers techniques diversifiés, exigeants et passionnants ».

2. Une petite surprise attend cependant le lecteur sur http://jeunes.edf.com . Au sein d’un site qui se veut empreint de pédagogie sympa (« l’énergie c’est quoi ? »), voilà qu’on trouve, aux côtés de la question « Pourquoi les oiseaux peuvent-ils se poser sur les fils électriques sans se faire électrocuter ? », la question : « Le nucléaire est-il si bien que ça ? », avec pour réponse : « Ceci est un petit test du nouveau site edf... Y a-t-il de la place pour y établir un espace de discution avec une certaine dimension critique (adaptée au enfants que nous sommes) au sujet des énergies d’aujourd’hui et de demain. Ou s’agit-il d’un pur site de propagande fait pour, passez moi l’expression, nous bourrer le mou... » Bref, un piratage informatique en interne.





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