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La Chine affiche sa morale

La Chine affiche sa morale

La Chine affiche sa morale
Mis en ligne le vendredi 28 mars 2008.

Publié dans le numéro VII (déc. 2007-fév. 2008)

La Chine va accueillir les Jeux Olympiques en 2008, on le sait. Manifestation spectaculaire de la préparation d’un « bon environnement » pour cette occasion, les « murs culturels » qui émergent dans de nombreuses villes et villages du pays. Derrière cette dénomination floue, de grandes affiches censées instruire les foules, que les autorités chinoises définissent comme des « positions avancées d’éducation et de propagande ». En voici quelques exemples.

 

En 1966 débutait en Chine la Révolution Culturelle. Lorsqu’on pense à cet épisode politique, la première image qui vient est celle des Gardes Rouges vêtus de leur uniforme vert, la bande rouge autour du bras et le livre de Mao à la main. Mais l’on peut y ajouter cette particularité que furent les dazibao, journaux muraux écrits en gros caractères, qui couvraient tous les murs de Chine. Pour reprendre la terminologie marxiste, les murs étaient devenus le terrain privilégié de propagande du prolétariat contre la culture « féodale et capitaliste », et c’est sur les murs que se déployaient les messages visant à éradiquer les « Quatre Vieux », à savoir la vieille pensée, la vieille culture, les vieilles coutumes et les vieilles habitudes.

Cinquante ans ont passé ; et cette révolution reste un traumatisme dans la mémoire des Chinois. Les moyens de propagande utilisés dans la société chinoise actuelle restent cependant bien proches de ceux du maoïsme. En témoigne actuellement ce que l’on appelle les « murs culturels » (wenhuaqiang).

 

Village de Taishitun, JO

Village de Taishitun (banlieue de Pékin)
affiche de 2 m. sur 1,20 m. placardée en vue des J.O. de Pékin
«Accueillir les Jeux Olympiques, savoir être civilisé, établir de nouvelles mœurs. J’y participe, je m’y consacre, je suis joyeux.»
 

 

L’édification de ces « murs culturels » à Pékin et dans les principales villes de Chine a débuté dans le contexte de la « construction morale des citoyens » (gongmin daode jianshe), mot d’ordre lancé en 2001 par le gouvernement central du Parti communiste chinois. Le Quotidien du peuple publie alors un texte intitulé « La mise en pratique de la construction morale des citoyens » : « La construction morale socialiste est importante pour le développement d’une culture avancée. [...] Pour renforcer cette construction, il faut gouverner le pays par la vertu. [...] Cependant, il existe encore beaucoup de problèmes sur le plan de l’éducation morale des citoyens. [...] Si ces problèmes ne se résolvent pas toute de suite et de manière efficace, ils vont nuire à l’ordre économique et social, et nuire à la conjoncture générale du développement et de la réforme. »

La « construction morale des citoyens » est dirigée par « la pensée marxiste-léniniste, la pensée maoïste, la pensée de Deng Xiaoping (1) et la pensée des Trois Représentations(2) de Jiang Zemin ». Cette « construction morale » doit ainsi « établir solidement, parmi le peuple chinois, l’idée commune de construire un socialisme à caractère chinois et des concepts corrects du monde, de la vie et des valeurs ». Parmi les multiples mesures prises à la suite de ce mot d’ordre, la mise en place d’une « ambiance sociale » favorable fut à l’origine de l’édification de ces murs culturels.

 

Village de Taishitun

Village de Taishitun (district de Miyun, banlieue de Pékin, 2 000 hab.) affiches de 2m. sur 1,20 m.
Ce petit village compte à l’heure actuelle, cinq « murs culturels » réalisés sur ordre du gouvernement local. Tous représentent des paysages ou des figures symboliques surmontées d’un slogan politique. En vertu d’un accord, la clinique Zhongjingtang de Pékin dispose d’un espace publicitaire à droite de chaque affiche.

L’expression « Barong bachi », proposée en 2006 par Hu Jintao (premier secrétaire du Parti communiste chinois depuis 2002 et président de la République populaire de Chine depuis 2003), est devenue la nouvelle référence morale servant à juger le travail, la conduite et l’attitude des fonctionnaires du Parti communiste. En chinois, cette liste de huit motifs d’honneur et de huit motifs de honte se lit presque comme une poésie du fait des jeux de sonorités et du rythme binaire.

Huit motifs d’honneur, huits motifs de honte (« Barong bachi »)

 Aimer le pays ; n’y faire aucun mal.
 Servir le pays ; ne pas trahir le peuple.
 Suivre la science ; l’ignorance est un défaut.
  Être diligent ; pas nonchalant.
  Être unis, s’entraider ; ne pas chercher son intérêt aux dépens d’autrui.
 Être honnête et fidèle ; ne pas oublier l’éthique pour les profits.
  Être discipliné et respectueux des lois ; ne pas entraver l’ordre public.
  Être capable de faire face à l’adversité ; ne pas se complaire dans le luxe
 et le plaisir.


 

Village de Taishitun

Convention de la civilisation pour les citoyens de Pékin
 Aimer le pays, aimer Pékin, vivre en harmonie avec toutes les nations,
 maintenir la stabilité.
 Aimer le travail, aimer son poste, se consacrer à son travail, être
 honnête et digne de foi,
 économe et travailleur.
 Respecter la loi et l’ordre public, agir courageusement pour la justice,
 encourager l’honnêteté.
 Embellir la ville, être propre, rendre la capitale écologique, protéger
 l’environnement.
 Prendre soin de la collectivité, respecter les biens publics, suivre
 l’intérêt collectif, protéger le
 patrimoine.
 Respecter la science, mettre l’accent sur l’éducation, repecter les
 enseignants, améliorer ses
 compétences.
 Respecter les vieux, aimer les enfants, aimer le peuple, soutenir l’armée,
 respecter les femmes,
 aider les pauvres, aider les invalides.
 S’adapter aux coutumes, avoir une vie saine, suivre le planning familial,
 entretenir son corps.
 Se comporter de manière citoyenne, traiter les invités poliment, être
 généreux, prendre du plaisir à aider autrui.

«Construire un nouveau village, s’efforcer d’être un foyer civilisé, être toujours un homme civilisé.»

 

 

Village de Caojialu
Village de Caojialu (district de Miyun, banlieue de Pékin). 2 300 habitants.
mur de 2 mètres de haut sur 130 m. de long, édifié en 2006.

Histoire du village. Paysage des alentours, plan du village et des sites touristiques.
«Développer les forces productives de Deng Xiaoping, les Trois Représentations de Jiang Zemin, et construire la société harmonieuse de Hu Jintao Développer l’économie écologique, construire un nouveau village socialiste Respecter les règles de la morale sociale, protéger l’environnement public, vivre en harmonie avec ses voisins, construire un heureux pays natal.»

 

 

Village de Caojialu
Village de Caojialu
affiche de 2 m. sur 1,20 m.

«L’aménagement général du village est l’affaire de tous, chaque famille en profite.»

(1). Dirigeant de la Chine de 1976 à 1997. (2). Jiang Zemin (président de 1993 à 2003) a développé en 2001 cette théorie (dite aussi « Triple Représentativité ») selon laquelle le PCC doit représenter les « forces productives progressistes, la culture chinoise moderne et les intérets de la majorité de la population chinoise ». Ce faisant, il a réhabilité les élites économiques (et donc le capitalisme) dans l’appareil du Parti.
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