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Imprimer le Monde, 3

Imprimer le Monde, 3

Imprimer le Monde, 3
Mis en ligne le lundi 12 avril 2010 ; mis à jour le lundi 8 mars 2010.

Publié dans le numéro 03 (13-26 mars 2010)

bonjour,  v’là la suite.  à part ça, j’ai un gros problème : je n’ai pas trouvé le chocolatier de mon confrère d’africaine queen. aurions nous le droit d’introduire de la fiction dans les articles ou de les bidonner  ?  bernard.

 Ivry est une ville industrieuse avec sa fabrique de plumes métalliques devenue manufacture des oeillets devenue ateliers d’artistes, avec son souvenir sucré de Pierrot Gourmand, avec les deux mille six cents entreprises dont elle se flatte, avec ses tas de gravats déversés au hasard vers les quais, normal, c’est là que passe le fleuve. Au bord de l’eau, ou presque, il y a aussi des fleuristes, des cinémas, et, un peu plus loin, l’imprimerie du Monde.

 On dénombre quatre sites dans la région parisienne. Ivry. Tremblay pour le groupe le Figaro. La Courneuve pour l’Humanité et Libération et, accessoirement, La Tribune pour qui voudrait suivre au jour le jour les variations boursières. Saint-Ouen pour le groupe Amaury c’est à dire le Parisien et l’Equipe qui franchement n’est plus ce qu’elle était. Sans oublier Paris XV eme arrondissement pour Le journal officiel et, à tout seigneur tout honneur, la ville de Sens pour Le Tigre qui est imprimé, lui, sur papier lys naturel.

 Le coeur du conflit c’est bien que l’imprimerie du Monde reste à Ivry. Telle est la substance de toutes les réunions et des propos tenus par les délégués de la CGT.

 Au siège du boulevard Blanqui, on passe de la bibliothèque au bureau du secrétaire général. Mon oeil ne m’a pas trompé, Marc joue au rugby. La première chose que je vois, sur le mur, est une affiche intitulée «la troisième mi-temps d’Alain», destinée à fêter le départ à la retraite du dénommé Alain, un bandeau rouge sur le front, genre Herrero. Quant à Marc, il a joué à Pontault-Combault, ça n’est pas Lannemezan ni Tyrosse, mais ça vous en impose un peu quand vous connaissez la fédérale trois en région parisienne, il a joué troisième ligne, il a fini deuxième ligne, non pas qu’il ait grandi en vieillissant, mais forcément il courait moins vite. En face, il y a une belle lithographie du comité intersyndical

  QUI CASSE L’IMPRIMERIE

  CASSE LE CULTURE

et une bibliothèque pleine à craquer de livres où je repère un petit buste de Lénine masqué par une photographie de sa femme et sa fille, une brochure du même, Du rôle et des tâches du syndicat (jamais lu, dit-il, avec un grand sourire), Ma voix ouvrière de Bernard Thibault (lu, avec le même sourire), tous les tomes du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier de Maitron, une troïka de choc, Ho Chi Minh/Guevara/Krasucki. J’en profite pour rappeler que Krasucki était un vrai merle chanteur, capable de siffloter l’allegretto de la septième symphonie à ses compagnies pour tenir le coup à Auschwitz.

 Avec l’arrivée de Martial et Didier, l’enquête reprend ses droits. L’âme tranquille, je leur demande confirmation de ce que j’ai entendu dire, autrefois, par des ouvriers du livre devenus ouviers du livre après quinze ans dans les roulements à billes ou vingt ans dans les industries chimiques, confirmation de ce que j’ai lu dans des ouvrages reconnus d’histoire sociale. Vous êtes bien l’aristocratie ouvrière ? Ma question jette un léger froid. En réponse, une feuille de paye vole jusqu’à moi. La feuille est jaune, ce n’est pas ce qu’on appelle un bas salaire mais évidemment il doit être mis en rapport avec les contraintes du travail, la nuit, les weeks-ends, les jours fériés à part le fameux 1 er mai. Toutefois, oui, le métier est noble, nous fabriquons un produit différent chaque jour. Le raisonnement se déroule ensuite selon une logique imparable : « c’est comme le métier d’infirmière ; tous les métiers sont nobles comme les gars du nettoiement ; ce n’est pas comme les traders ni les drh ».

 Tous les trois sont heureux de consacrer une part importante de leur vie aux luttes. Pour autant, ils n’en seraient pas moins heureux s’ils avaient davantage de temps pour « faire des choses que j’aime ». Marc ce serait les musées d’art contemporain ; il voudrait voir le MACVAL et il a gardé un beau souvenir de l’exposition Léger à Pompidou ; sinon il a déjà vu le film d’Eastwood, Invictus, avec Mandela et les Springboks, je l’aurais parié. Didier ce serait les sports de combat et le bricolage et le jardinage quand il fait beau ; ainsi n’a-t-il pas trop de regret à nourrir cet hiver ; il a un petit jardin, des salades, deux trois pieds de tomates, et même quelques framboises pour les gamins. Quand c’est le tour de Martial, les deux copains esquissent un large sourire. Franchement, je ne sais plus lequel des trois, laisse échapper le mot-clef : bonsaï. Martial a une passion pour les bonsaïs, il a un petit balcon où il officie, il lit des revues de bonsaïs, il les lit même dans le train qui les conduit à des congrès en province ; il a commencé à prendre des cours mais ses activités syndicales l’ont obligé à arrêter. Heureusement l’hiver les bonzaïs sont un peu comme les ours, ils hibernent.

 Si j’ai bien suivi, l’hiver semble la saison la plus favorable à l’action syndicale voire au grand soir. C’est peut-être pour cette raison que la révolution d’octobre a eu lieu en novembre sous les tourbillons des premières neiges. Cela dit, si le printemps est pour bientôt, on y a déjà vu quelques jolies surprises.

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