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Guide touristique sur des croisières

Guide touristique sur des croisières

Guide touristique sur des croisières
Mis en ligne le jeudi 25 juin 2009.

Publié dans le numéro 30 (mars-avril 2009)

Nicolas, 35 ans, guide touristique sur des croisières

C’est par hasard, réellement. Moi de l’âge de 20 à 30 ans j’étais saisonnier dans l’animation, célibataire, j’avais envie de me balader... et, oui, à l’âge de 30 ans j’avais envie plutôt peut-être de me poser et de payer des impôts ! J’ai rencontré un gars de l’ANPE qui m’a proposé ce métier. Moi je suis rentré sur les bateaux en faisant les commentaires en tant que guide touristique, j’aurais pu rentrer comme photographe ou restaurateur ou autre. Mais c’est le fait de travailler sur les bateaux qui m’a donné envie, parce que... ils m’ont formé en matelotage et en fait ça me donne la possibilité de m’occuper du bateau dans sa globalité, je m’occupe de l’entretien des bateaux et de la mécanique aussi, et je suis une formation de capitainerie.

En fait le commentaire est très très minoritaire, bien après l’accueil, ou le fait que le bateau soit propre. Vous avez beau dire tout ce que vous voulez, si le bateau est crade... En saison, y a aussi de l’encaissement à faire, y a le bar à servir, il faut être capable d’avoir une vision de l’espace ou de l’ambiance du bateau, tout en donnant du commentaire. Le commentaire, en fait, doit rythmer la croisière. Il reste assez complet et pas trop anecdotique... mais ça reste quand même ludique. Ça va avec le plaisir que la personne va prendre sur le bateau. On n’est pas là pour prendre un cours magistral, je suis pas un guide touristique diplômé qui viendrait pendant deux heures trente saouler les gens, j’aime bien passer de la musique, et que les gens puissent aussi échanger, boire un coup, écrire les cartes postales... À ce moment-là, ce que peut raconter le guide devient une deuxième position. C’est pas frustrant parce que personnellement j’ai pas envie de faire une démonstration historique par rapport aux gens, ça sert à rien de vouloir les épater, de toute façon ils n’en veulent pas.

La trame du commentaire, elle existe depuis maintenant une vingtaine d’années, elle s’est créée au fur et à mesure des croisières je pense. Je me sens pas artiste, le texte ne m’appartient pas, je le retranscris simplement, je me l’adapte, à ma personnalité, donc là-dessus je suis conscient qu’y a quand même un petit côté de jeu, mais tout petit peu seulement. On serait dans une salle de spectacle, ou y aurait vraiment des moments qui seraient très très bons et il faudrait absolument que les gens écoutent... je comprends qu’un artiste réclame que les gens arrêtent de se moucher... Moi ça me dérange pas, les gens peuvent se lever, aller aux toilettes ou aller faire ce qu’ils ont envie.

Les commentaires, j’ai préféré les travailler d’abord. C’est intéressant de savoir ce qu’on dit, comment on va le dire. Après chaque personne qui travaille sur le bateau se l’approprie différemment. Actuellement je travaille avec une jeune qui apprécie beaucoup moins l’histoire, donc elle va beaucoup moins axer son commentaire sur les rois de France, elle est beaucoup plus sur un côté géographique. Moi personnellement je les ai appris par cœur, c’est vrai qu’à chaque croisière mon commentaire quasiment reste le même. J’ai un autre guide qui se moque souvent de moi, parce que quand on passe dans ce tunnel qui va entre Bastille et la République, je parle du boulevard... Richard... Lenoir, et j’ai toujours la même intonation. Un guide sur Seine peut répéter huit fois le même commentaire dans une journée, ça devient très difficile au bout d’un moment. Et par contre, si vous n’y croyez pas, les gens n’y croiront pas non plus, et là ça deviendra encore plus mauvais.

Sur la Marne, la trame, en grande partie moi je l’ai refaite complètement. Je suis allé sur des sites internet pour me renseigner, et j’essaie en fait de donner une évolution de la banlieue parisienne depuis l’époque napoléonienne où la banlieue est vraiment un espace de campagne, jusqu’à après-guerre finalement où y a l’explosion des cités. Là pour moi ça a été aussi une découverte, parce que je suis un petit gars de banlieue, et c’est vrai que ça m’a permis moi-même de comprendre le milieu dans lequel je vivais. Je suis né dans l’Est, à Maisons-Alfort, donc c’est des endroits que j’ai connus, étant enfant, adolescent, donc c’est vrai que ça te touche après personnellement. Mes grands-parents, ils me racontaient leur jeunesse aussi, quand ils allaient aux guinguettes, les samedis après-midi, et qu’y avait une dizaine de robes de mariées sur la piste de danse. Ce que j’ai écrit, je constate que n’importe qui peut l’entendre et peut se l’interpréter lui-même. J’aime faire plaisir aux personnes âgées qui ont vécu la Marne, ces moments-là, et qui viennent vivre sur le bateau un moment où ils vont raconter leurs anecdotes. Mais en même temps y a des jeunes qui apprécient aussi d’être sur un bateau... à 9 km/h !

Le bateau, c’est pas le jet. Non, on prend son temps, on stagne dans les écluses. Certaines personnes s’emmerdent au bout de trois minutes, je le sens très rapidement. Et là je vais devoir m’adapter avec eux, je vais essayer de leur faire comprendre simplement l’intérêt du fluvial. C’est leur donner l’envie de prendre leur temps. Sur la Marne, je me lasse pas. À partir du moment où je suis sur le bateau, on arrivera quand on arrivera. C’est quelque chose que je connaissais pas du tout, non, au contraire, je suis un gars qui aime la Nintendo, qui fait du ski en dévalant la piste... Mais la vitesse ne peut pas exister sur la voie d’eau. Ça permet de relativiser. On est sans arrêt en train de se plaindre de la lenteur des choses, même d’attendre trois minutes sur un quai pour avoir le métro. L’eau est un élément naturel, qui t’offre des possibilités d’avancer, de transporter des choses énormes, mais avec un temps donné. Ça t’aide à te construire aussi. Sur un bateau, tu travailles pas à 200 à l’heure, donc ça t’aide à te poser. C’est ça qui est formateur pour moi aussi. Si j’avais fait un autre métier, je serais peut-être beaucoup plus énervé.

Un groupe de jeunes, d’enfants ou d’adolescents, que cette lenteur va ennuyer, ils sont capables de te retourner un bateau, arracher les moquettes, casser des vitres... Quand t’as trente ou quarante personnes sur un bateau, ils vont être excités, énervés. À partir du moment où tu leur donnes un commentaire, ils vont s’asseoir, ils vont écouter, donc le calme va s’installer. Le commentaire va réguler la croisière, va mettre en place la sécurité. Ça va rassurer aussi le capitaine qui est avec une machine et un environnement à apprivoiser. C’est un métier où la météo est très importante. Surtout sur le canal, qui est très étroit, et les pâtés de maisons créent des courants d’air. Comme les bateaux sont très peu enfoncés dans l’eau, ils ont des prises au vent énormes, et les bateaux se décalent. C’est pas une conduite où il va falloir bourriner et avancer, c’est une conduite de précision. C’est pourquoi il est très difficile de recruter des capitaines sur le canal. C’est plus difficile que sur la Seine. La Seine, il faut passer sous les ponts. Y a des bateaux très longs et très larges, et sous le Pont Neuf ou sous le Pont Royal, y a beaucoup d’arches et donc les écarts sont très réduits. Et donc y a très peu de capitaines qui sont capables de prendre certains bateaux. Donc voilà, y a un côté macho bien sûr.

Une péniche, autrefois, c’était monsieur et madame, avec leurs enfants. C’est vrai qu’aujourd’hui la parité et la mixité manquent un peu. Uniquement avec des mecs, on va se retrouver avec des grosses couilles et des ceci cela. Travailler uniquement avec des nanas comme je l’ai fait aux Galeries Lafayette, c’est très très chiant parfois. Là je suis avec des gens qui sont parfois extrémistes dans leur propos, parce qu’ils sont uniquement entre mecs. C’est un milieu qui est quand même assez fermé... c’est énormément de la cooptation, et des gens qui apprennent les uns avec les autres. C’est pas des gens qui sont très ouverts aux cultures et au multiracial. Faut le vivre, et puis faut l’intégrer. Si on travaille qu’avec des gens qu’on aime, ça devient chiant.


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