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Les p’tits gars d’Auber, 3

Les p’tits gars d’Auber, 3

Les p'tits gars d'Auber, 3
Mis en ligne le jeudi 16 décembre 2010 ; mis à jour le lundi 31 mai 2010.

Publié dans le numéro 09 (5-18 juin 2010)

Tous les joueurs de foot disposent en théorie de deux pieds. Rares pourtant sont ceux dont on peut dire qu’ils ont un « pied gauche ». Pour certains, ce pied ne sert vraiment que lorsqu’il faut appuyer sur la pédale de l’embrayage. Il faut comprendre par là qu’un vrai bon gaucher est une denrée rare - et que toute bonne équipe doit en avoir un. À Auber, ce fameux « pied gauche » est l’apanage de Rachid Youcef. D’après le site du club : « son pied gauche chirurgical (sic) fait des ravages chez les gardiens adverses ». Samedi dernier, c’est encore lui qui a offert les deux passes décisives de la victoire d’Auber contre Reims.

Deux jours plus tard, je suis au Black & White, un bar situé à moins d’une encablure du stade André-Karman. Sur un mur, une fresque fait se côtoyer comme un petit panthéon personnel pour Ali, le patron, Ronaldinho - toutes dents dehors - et Mustapha Dahleb - buteur algérien des années soixante-dix.

En face de moi, se trouve un homme satisfait, disert mais visiblement fatigué : Rachid Youcef. Le titre de champion et la montée d’Auber sont maintenant assurés depuis deux matches. La pression retombe : « on a plus la tête aux vacances qu’à autre chose. On est pressés que ça finisse : aux entraînements, on passe plus de temps à parler qu’autre chose. ». Les vacances seront courtes - le retour sur les terrains est prévue pour les premiers jours de juillet. Cette année, à la fatigue des quarante matches de la saison et des quatre entraînements hebdomadaires, est venue s’ajouter la pression médiatique née de la série d’invincibilité : « on voyait les articles dans la presse «jusqu’à quand Auber va-t-il rester invaincu ?» C’était pesant dans nos têtes ».

Pour expliquer ce parcours, Rachid reprend quelques figures imposées (« on a appris à détester la défaite », « l’entraîneur nous a inculqué la culture de la gagne ») et pose les conditions de l’ambition toujours renouvelée (« il faut qu’on ait les moyens de recruter pour être compétitifs », l’entraîneur doit « écarter les mecs qui n’ont pas été sérieux ».) Mais cette ambition tombe rapidement sur la quadrature du cercle : « le championnat de France amateur, c’est une vraie division bâtarde. Les sacrifices et les besoins sont les mêmes qu’au niveau pro, mais on n’a pas du tout les mêmes moyens. Il faut que la mairie et les sponsors nous aident.  »

On en revient donc à la dure condition du footballeur amateur. « Quand tu travailles la journée puis que tu as entraînement à 19h, le soir, tu n’as plus envie de parler à personne. Le problème, c’est que tu ne peux pas en vivre - même avec des petites primes de match. C’est super galère pour tout le monde. » Inéluctablement, ceux qui ne parviennent plus à suivre le rythme, qui ne sont plus aussi assidus aux entraînements sortent peu à peu de l’équipe. Rachid a lui aussi connu ce dilemme : « L’an dernier, j’étais chauffeur de bus. La seule solution qui me permettait de pouvoir participer aux entraînements, c’était de faire le bus de nuit. Mais j’étais crevé et j’ai fait une saison en dents de scie ». L’entraîneur Abdellah Mourine demande alors à Rachid de trouver une solution : Rachid lâche le boulot pour le foot. Mais la question du travail risque de se reposer très vite. « Si demain, je me blesse, je n’ai presque plus de revenus. En juin, je suis en fin de droits aux Assedic. J’ai vingt-neuf ans et j’ai envie d’assurer. Je fais des sacrifices pour le club et ma ville, et j’ai envie d’avoir quelque chose en retour. » Rachid passe les diplômes d’entraîneur, avec pourquoi pas la perspective de devenir un des dirigeants du club. 

Pour la plupart des joueurs d’Auber, l’histoire aurait pu être différente. Certains sont passés à deux doigts d’une autre carrière. Malgré une technique remarquable, le milieu de terrain Rochdi Izem s’abîme aujourd’hui le dos à emballer des colis pour Fedex : mesurer moins d’1m70, c’est souvent rédhibitoire pour viser plus haut. Il suffit de peu de choses - la malchance, un manque de maturité - pour que l’histoire bascule. Le gardien, Yann Kerboriou, a été renvoyé du centre de formation de Lille pour mauvais résultats scolaires : il est aujourd’hui pion dans un lycée. Tout comme avant lui Youssef Belkeba, Rachid n’a pas non plus eu de chance. A 17 ans, il est repéré par le club de Montpellier qui lui propose d’intégrer le centre de formation. À la visite médicale, une anomalie est détectée. Diagnostic : hyperthyroïdie. Presque deux ans d’arrêt, une progression interrompue, et retour à Auber.

Aujourd’hui Rachid est devenu un des piliers du « vestiaire » d’Auber
- un de ceux qui assure la cohésion de l’équipe et gère les conflits. Une tâche parfois difficile : «   il y a des personnalités, des mecs qui ont eu des passés judiciaires et qui essaient de se stabiliser avec le foot. Mais j’essaie de faire perdurer dans le club un esprit familial, et de mettre tous les nouveaux dans le bain. » Cette année, surtout, l’image d’Auber a changé. « On était vu comme un club du 93 avec de rebeus et de renois qui ne savent pas se tenir, alors qu’on est des mecs très respectueux. ». Mais les résultats et surtout l’arrivée de Steve Marlet ont changé beaucoup de choses pour le club....

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