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« Je pense que je ferai ensuite... »

« Je pense que je ferai ensuite... »

« Je pense que je ferai ensuite... »
Mis en ligne le lundi 3 septembre 2007 ; mis à jour le vendredi 17 août 2007.

Publié dans le numéro IV (ÉTÉ 2007)

Sylvina, 45 ans, couturière-modéliste.

Je pense que je ferai ensuite des modèles qui me plaisent plus moi. Mais pour l’instant je m’adapte, les commandes c’est essentiellement ce qui leur va et ce qui leur plaît. J’ai mon goût, après, je sais pas si y a un goût, je voudrais ne pas penser qu’y a un goût. Ce qui me plaît le plus c’est quand elles viennent avec une idée de robe et qu’on fait tout quoi. Parce que là il faut que je trouve des trucs pour assembler, tracer le patron. J’en rêve aussi, ah ben ouais j’en rêve. Heureusement d’ailleurs parce que des fois ça me donne des idées. On voit des modèles, des façons de faire. En général quand je les rêve c’est pas mal, c’est des bonnes solutions. Après, la coupe, oui. Et puis l’assemblage, oui. Mais ce qui est sympa c’est de faire le moulage. Parce qu’en fait faut trouver des façons de draper ou d’appliquer le tissu sur le corps, ça s’apparente un peu à la sculpture en fait. C’est magique aussi, parce que c’est de passer d’un bout de tissu tout plat, et donc bon on garde les lignes milieu devant etc. etc., taille bassin etc. etc., et on l’applique sur le corps et petit à petit le modèle il prend forme sur le corps, c’est joli quand même, c’est intéressant. Moi j’aime bien travailler de mes mains, mais faut travailler de la tête aussi en couture, y a pas de problème. Si je suis la tête dans le guidon toute la journée, quand je rentre je suis quand même fatiguée. C’est l’attention qu’il faut porter aux choses. En plus comme je suis un peu dyslexique, y a des fois, entre l’endroit, l’envers, le haut, le bas, la symétrie, y a des fois je m’y perds.

Aux yeux de personne... quand c’est travailler de ses mains c’est pas important, ce qui est important c’est d’être bon dans toutes les matières abstraites. J’en ai aussi souffert de ça. Ma mère elle voulait surtout pas que je devienne couturière. C’est souvent comme ça dans les familles immigrées je crois, quand les parents ont eu du mal. Elle, elle travaillait à la maison et elle était mécanicienne quoi, elle prenait des poches ou des poignets à assembler et elle faisait ça en série. Donc j’ai effectivement passé mon bac C, à la maison elle rêvait que de ça ma mère, donc on a fait un bac C, j’ai effectivement fait des études supérieures, c’est pas ça qui m’a donné à manger, mais bon. Peut-être que ça me sert quand même tout ce que j’ai appris.

J’ai eu du mal aussi avec ça parce que c’est vrai que pour moi le vêtement c’était une surface aussi et c’était pas forcément le vêtement qui faisait le moine, mais bon, on n’en est pas à vivre tout nu. Mais... c’est vrai, c’est une enveloppe. Ça m’a posé des questions. C’est pas forcément un mensonge, non. Ben c’est ce que j’aimerais bien, mais bon je sais pas... Pour l’instant, les femmes qui sont venues ici elles mentaient pas spécialement. Elles ont leur corps, elles font avec, on essaye d’en tirer parti. Moi j’ai pas le temps de m’habiller moi. J’ai jamais été vraiment une boulimique des fringues. Avant de faire de la couture j’allais dans un bureau, et c’était important d’être bien habillé. Je trouvais qu’y avait une espèce de pouvoir selon les façons de s’habiller, ça m’énervait un peu ça hein... Donc je me sapais effectivement je me sapais. C’était presque un uniforme, une armure. Donc après j’ai laissé tombé l’armure, je me suis pas sapée pendant pas mal de temps. Je mettais n’importe quoi et... là c’est en train de revenir un peu, parce que c’est quand même agréable de s’habiller quoi.

J’ai eu une belle carrière entre guillemets. J’étais maquettiste. J’ai longtemps réfléchi à ce que j’allais bien pouvoir faire de moi, parce que franchement j’en pouvais plus, assez vite je me suis lassée de ce que j’étais en train de faire, et je trouvais ça absurde. Et ce qui m’intéressait c’était un savoir-faire qu’on proposait aux gens, c’était forcément quelque chose qui allait leur faire du bien. Et je gardais la création que j’avais à la maquette, de toutes façons, la couture c’était quand même graphique, les assemblages, la coupe, parce que quand j’ai commencé la maquette on coupait tout aux ciseaux.

Moi j’avais décidé de faire du quotidien essentiellement, bon j’avais envie d’habiller la femme mais pas que pour des soirées, donc je fais aussi des pantalons pour tous les jours hein. Je me voyais très très mal vendre des robes de mariées. Peut-être que je suis pas pour le mariage déjà, ça c’est sûr je dois avoir un truc à régler avec le mariage... Déjà quand elles viennent me dire qu’il faut retoucher une jupe parce qu ‘elle est trop courte et que leur mari ça leur plaît pas... Bon je peux leur faire une robe de mariée si elles veulent... Là j’ai plus les belles-mères, je préfère les belles-mères. Mais ça peut être aussi un défi d’habiller une femme qu’est pas forcément très jolie et qu’elle soit justement belle tous les jours, c’est autre chose hein. Des fois je me dis que ça va peut-être m’aider à vieillir. Et puis aussi y a des gens qui viennent ici parce qu’ils avaient un modèle qui leur allait super bien et puis ils le retrouvent pas, parce que la mode fait que. C’est assez tyrannique, c’est cette année, c’est les jupes à volants et tu trouves que des jupes à volants. J’avais envie de faire ce qu’on avait envie de porter soi, pas spécialement avoir ce qu’on a envie qu’on porte.

Quand on dit que je me suis acheté un commerce, c’est pas ce que j’ai l’impression de faire. D’ailleurs je suis pas ouvert le samedi, je leur facilite pas la tâche, ni à moi d’ailleurs. Je me considère plus comme un artisan. Moi j’avais envie d’avoir une boutique où on n’achetait rien. En fait on rentre ici, mais on n’achète rien. D’abord on en discute, elles finissent par acheter évidemment, mais c’est pas compulsif quoi. Quand on rentre dans un magasin on peut prendre ça ça ça, et puis on n’en a pas spécialement peut-être envie et ça tombe pas spécialement bien, mais bon c’est là... Alors j’ai décidé justement de prendre le contre-pied, parce que bon ces histoires de consommation à haute dose... je sais pas si c’est une bonne entre guillemets façon de vivre. Voilà donc je voulais faire autre chose et autrement, donc je me suis dit que pourquoi pas le retour à quelque chose qu’on réfléchit, qu’on pense, qu’on choisit, qu’on façonne ensemble quoi. Donc voilà, c’est plus que de faire de la couture, c’est faire de la politique.

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