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Raphaël M. & Laetitia B.

Raphaël M. & Laetitia B.

Raphaël M. & Laetitia B.
Mis en ligne le lundi 18 février 2008 ; mis à jour le mardi 13 mai 2008.

Publié dans le numéro VII (déc. 2007-fév. 2008)

J’étais avec Émile de Girardin au moment où il a eu l’idée de mettre un roman-feuilleton dans La Presse, le premier quotidien populaire, en 1836, j’étais avec Clemenceau quand il a lancé L’Homme libre en 1913, avant de le rebaptiser pendant la Première Guerre mondiale L’Homme enchaîné, j’étais avec les Maréchal quand ils en ont tiré le nom du Canard Enchaîné en 1915, j’étais avec Beuve-Méry, en 1944, quand de Gaulle lui a demandé de créer Le Monde, j’étais avec Serge July et ses maoïstes en 1973 au lancement de Libération, j’étais même avec Michel Butel et ses amis quand ils ont pu faire L’Autre Journal, en 1984, mais là nous sommes fin 2007, je suis dans le bureau de Raphaël Meltz et Lætitia Bianchi, ils décident de relancer Le Tigre, j’avais pourtant prévu de m’arrêter là, à ce dernier numéro, depuis qu’ils m’avaient annoncé que leur journal allait mourir j’avais tout prévu pour cette fin attendue par des milliers de fan, le moment où le héros révèle son identité, où l’on comprend enfin par quel miracle il avait accès à tous ces secrets, mais ils me disent qu’ils vont continuer, ils me demandent de poursuivre ma colonne, de raconter encore et encore avec qui je traîne, sans comprendre que cette rubrique qui avait un sens dans un hebdo n’en avait plus guère dans un mensuel et n’en aura plus du tout dans un bimestriel, ils me disent qu’ils sont d’accord mais ils me proposent autre chose, ils me disent que j’ai carte blanche, à supposer que j’ai encore envie d’écrire dans leur journal, d’écrire tout court, ils sont jeunes encore, ils y croient encore, moi vingt années de piges m’ont ôté tout goût à cela, à l’idée qu’il est possible de faire un journal qui invente quelque chose alors que les lecteurs n’ont plus aucun sens de la curiosité, ils tentent de me prouver le contraire, quand ils démarrent tous les deux on ne peut plus les arrêter, je décide de ne pas essayer de les convaincre, je décide que cette rubrique s’arrête ce jour cette phrase, je quitte leur bureau, ils ne s’en rendent pas compte, ils continuent à parler, ils se renvoient la balle, ils sont incorrigibles, un jour ils m’ont dit qu’ils faisaient peut-être le dernier journal, il a 32 ans, elle a 31 ans.

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