SAM21DEC2024
Rubrique Agenda
Accueil > Articles > Tigreries > Wikifeuilleton >

Wikifeuilleton(s)

Wikifeuilleton(s)

Wikifeuilleton(s)
Mis en ligne le mardi 2 janvier 2007 ; mis à jour le vendredi 25 mai 2007.


Tous les épisodes du Wikifeuilleton, publié dans Le Tigre hebdo, en 2006.

00 | FAUT-IL ÉCRIRE EN SOLRESOL ?

En ce début janvier de l’an 06, sur le site de l’encyclopédie collaborative Wikipedia, l’Oracle, au milieu de questions sur le chiffre carré palindrome, la veuve Mao, la nocivité des cigarettes en chocolat ou les cycles pyrane et furane, a été consulté par un passant aussi bref que percutant : « Pouvez-vous m’aider à trouver la ville russe de Roubtsosk ; qui êtes-vous ? Wikipédia hein ? ». Et c’est par la voix du contributeur ArséniureDeGallium que sa sagesse a parlé : « D’après maporama, il y a une ville nommée ainsi près du Kazakstan. (Et pour la deuxième question, nous sommes Dieu, réincarné en bits codant de l’UTF-8). » Te voilà donc averti, l’ami - et si l’UFT-8 c’est du barbare pour toi, tu peux toujours aller lire le wikiarticle à son propos, c’est l’avantage. Si tu ne parles pas non plus le sistemfrater, il va falloir faire vite en revanche : sa page de citations fait l’objet d’un vote de suppression. Le motif est donné par Odeja : « un article écrit totalement dans cette langue ne me paraît pas à sa place dans une encyclopédie francophone ». Ça n’a pas plu à Oui : c’est lui qui l’a créé - Oui, qui vit au Vietnam, est un ardent défenseur des langues artificielles comme aussi l’Universalglot, le Solresol ou le Slovio. Ça ne l’a pas beaucoup surpris non plus : il en a vu d’autres au long de sa croisade contre l’impérialisme linguistique de ceux qu’il nomme les Wikikings - toutes ses propositions pour créer des versions de l’encyclopédie dans ces « petites langues » ont été déboutées : pas assez de locuteurs. Ça a tendance à l’échauffer un peu, Oui, au point qu’il en a récemment perdu son no-anglo : « I renonce definitively ! » a-t-il annoncé, demandant comment il fallait faire pour effacer son propre wikitravail. Et puis finalement il s’est repris, il est remonté en selle, et il est reparti à l’assaut. Hégésippe a déposé une requête d’arbitrage. Oui a envoyé quelques salves à droite et à gauche. Le combat pour une «  langue quasi totalement équitable pour l’humanité » continue.


01 | LES ÉTATS-UNIS ONT DISPARU

C’est le genre de dépêche qui déclenche des guerres : « 10 mars 2006 à 14:36 Le gorille a effacé «États-Unis d’Amérique» (Suppression pour nettoyage d’historique) ». Pourtant l’évènement serait resté inaperçu si ce même jour à 14:44, TouN, habitant de Saint-Pierre-de-Plesguen, connaisseur de sujets comme la Communauté de communes du Pays de la Bretagne Romantique, la Pointe du Groin ou le Chaos de Nîmes-le-Vieux, si TouN donc n’avait pas songé à visiter sur le site de l’encyclopédie collaborative Wikipedia la « Liste des milliardaires du monde - New-York - Washington (État) ». Au début, en observateur attentif de l’espèce milliardaire et de son évolution, il y allait seulement pour voir si elle était à jour du dernier recensement du magazine Forbes. Mais il sentit aussitôt que quelque chose ne tournait pas rond : tous les liens pointant vers l’outre-atlantique arrivaient dans le vide - le Nouveau Monde, subitement, silencieusement, était reparti dans le néant. Conscient de la gravité de la situation, TouN aussitôt sonna l’alerte : « l’article des États-Unis d’Amérique a disparu !! Qu’est ce qui se passe ? ». TouN sut garder son sang froid et ne s’interrogea sobrement que sur l’état des serveurs, mais on pouvait en effet tout imaginer : du retour de King Kong à une offensive rebelle en passant par une réécriture néo-conservatrice de l’histoire états-unienne, le pire n’était pas loin. Dès 14:46 heureusement, GôTô apaisait les inquiétudes d’un prophétique « Il va revenir » et TouN poussait un grand « OUFFF ». À 15:03 cependant Freewol n’était pas tout à fait rassuré : Paris venait de disparaître à son tour. Mais à 15:10 le gorille himself vint expliquer aux néophytes qu’il ne s’agissait que de retirer momentanément ces articles et leurs archives pour les débarrasser de quelques « bêtises et copyvios » - ces violations de copyright traquées sans pitié ni relâche. Okki pouvait conclure : « Le gorille : t’es un warrior ». L’apocalypse était remise.


02 | L’AFFAIRE KOUROINEKO

Le crime et sa filature resteront dans la légende de Wikipedia, le premier pour sa fourberie exemplaire, la seconde pour son héroïque minutie. Difficile de savoir quand exactement l’Affaire Kouroineko commence - on pourrait sans doute remonter au 1er décembre 2003, quand Kouroineko fait son apparition sur l’encyclopédie : « né en 1965, marié avec enfants », il aime le chocolat, et affirme : « Je suis discret par nature et ne donne pas beaucoup de détail sur ma personne. » - on en comprendra la sinistre ironie plus tard. Le 1er décembre 2003 donc, ou bien le 21 janvier 2006, jour que choisit Argument pour proposer la suppression de la page « Comparaison des versions de 1946 et 1981 du film Le facteur sonne toujours deux fois ». Car ce jour-là, kernitou, créateur de la page en question, porte dans sa défense une accusation grave : « je soupçonne l’utilisateur Argument de se cacher souvent sous d’autres pseudos ». Le lendemain, alors que se déroule le vote de suppression, Hégésippe annule sans appel celui de Nescafé au motif que ce dernier serait un faux-nez d’Argument - un faux-nez, oui, sock-puppet en anglais, « un nom d’utilisateur supplémentaire utilisé par un(e) Wikipédien(ne) ». Ce n’est pas interdit - sauf pour le bourrage d’urnes par exemple. Tu l’auras compris lecteur, Kouroineko est un troisième faux-nez du même contributeur. Et le 15 mars un communiqué commun de Pyb, Hégésippe, Alvaro, Le Korrigan et Markov achève d’exposer le scélérat : « Après enquête, nous sommes convaincus que Kouroineko, Authier, Lauriane, Jeanjean, Observer, Nescafé, Tomas7, Argument et Karine-decoopman sont une seule personne. » Preuves ou pas preuves, Teofilo trouve les méthodes du « club des cinq » un peu trop expéditives : bannissement indéfini, sauf pour Kouroineko qui pourra revenir dans un an. Dake, lui, n’a pas de regrets : un tel « Wikigate » valait bien une destitution.


03 | DE LA NEUTRALITÉ DU DICTATEUR

La semaine dernière, tu appris, lecteur, comment Kouroineko s’était fait passer pour 8 personnes différentes sur Wikipedia afin de voter plus à son aise, et comment 5 enquêteurs avisés avaient découvert la supercherie - Teofilo se sentait alors bien seul dans sa défense de l’agent octuple. Depuis, nouveau rebondissement, Marc Mongenet, que ces histoires de faux-nez ne font pas rire du tout, a annoncé que Kouroineko n’était pas 8 mais 11, et ne s’appelait pas Kouroineko mais Nezumi. Nezumi, un encyclopédiste actif, efficace, reconnu - pas franchement le prototype du vandale masqué, comme le souligne Aurevilly : « je tiens à témoigner, en qualité de bureaucrate, que Nezumi a toujours été un administrateur irréprochable et qu’il a fait des contributions de valeur à l’encyclopédie. Il reconnaît qu’il est un peu parti en vrille dans cette affaire. ». Pabix propose même qu’« étant donné la qualité de ses contributions » on le laisse continuer. Mais Nezumi tire ses adieux : « Je ne souhaite pas être débloqué et confirme la disparition de ma page utilisateur et page de discussion. » Cette fois ça a l’air bien fini, on ne saura jamais comment Nezumi ou ses doubles seraient intervenus dans le débat qui a repris à propos de la « Catégorie :Dictateur » - Miniwark en avait proposé la suppression « car le mot dictateur n’est pas assez neutre pour une catégorie », et Manchot avait été de ceux qui l’avaient fait échouer, argumentant en diplomate que « rien n’empêche de créer des catégories intermédiaires, pour tous ceux qui ne rentreraient pas totalement dans le moule ». Ça avait énervé Kassus : « Et Napoléon, on le met ou pas ? » puis 22 minutes plus tard : « Et Louis XIV ? » Finalement, Mogador trouve surtout qu’on fait beaucoup de bruit pour rien : « Un gaucher est quelqu’un qui utilise principalement sa main gauche. Un dictateur est quelqu’un qui use du pouvoir sans contrôle. ». Peut-être l’annonce d’une Catégorie :Dictateur_gaucher ?


04 | L’ARGUMENTUM AD GOOGLUM

Le 1er avril à 00:04, l’état d’urgence est décrété par Anthère, ponte de Wikipedia, qui placarde dans le bistro un avis à la population encyclopédienne : « Devant le risque de vandalisme lié au premier avril, le board a décidé de verrouiller en écriture la base de données de l’espace encyclopédique (namespace 0) pour les prochaines 24 heures. Vous pouvez en profiter pour réorganiser les catégories. » Après quelques hésitations, on s’aperçoit vite que c’est là le premier poisson de la journée, ce qui n’empêche pas les chasseurs de vandales de se mettre en formation de combat : DarkoNeko « enfile son equipement de hockeyman et s’arme d’une crosse » tandis que DDPAlphaTiger1 annonce sa « Mise en route du mode patrouille ». Et les autres en profitent en effet pour réorganiser les catégories, qui continuent à semer le désordre : un arbitrage entre Hégésippe et Steevê a été engagé autour de celle de Criminel de guerre - quant à celle de dictateur, tout juste réchappée de la suppression, elle vient d’y être reproposée. Powermonger, d’habitude accélérateur de polémiques, a vainement tenté d’apaiser le débat en proposant de simplement la remplacer par « Catégorie :Élu avec plus de 90% des voix. », mais ça n’a pas du tout convaincu Kassus, qui vit en Tunisie et lutte seul contre tous pour que Ben Ali n’y soit pas classé. Steevê, décidément téméraire, lui donne du fil à retordre avec les 55 liens qu’il vient d’ajouter pour étayer son affirmation de « dictateur et tortionnaire », parce que Kassus, lui, n’en a que 2 prouvant que Ben Ali est démocrate : un tunisien, un marocain. Et s’il veut tenter de révoquer les sources de Steevê comme relevant de l’« argumentum ad Googlum », « raisonnement fallacieux » s’appuyant sur le nombre de réponses sur le moteur de recherche comme d’une preuve absolue, il faudra qu’il se dépêche, l’argumentum lui-même faisant l’objet depuis peu d’un « désaccord de pertinence  » de mauvais augure.


05 | LE PRINCIPE DE DESTRUCTION DES RÊVES

On t’épargnera, lecteur, les détails du 3è vote pour la suppression sur Wikipedia de la catégorie « Dictateur » et des « Votes pour ou contre le fait de revoter » - sache seulement qu’elle est sur le point de (re)partir aux oubliettes, non sans soulever de longs débats. Bien plus que le CPE qui, à part quelques conflits sur la légitimité pour un syndicaliste aussi jeune que Karl Stoeckel de figurer dans une encyclopédie, est loin d’y faire autant de remous que dans les rues et les palais de France. Peut-être, cependant, une réaction blasée à l’actualité : ConyJaro vient de créer un article exposant la récente théorie de « Nicolas Aujard (1981), chercheur français » : le « Principe de Destruction des Rêves ou PDR ». Selon ledit chercheur, « L’Homme nait avec des rêves, ou du moins en forme et en acquiert. Lorsqu’il grandit, il est confronté à la réalité de la société. S’ensuit un processus infime, mais régulier, qui le pousse à renoncer à une bonne part de ses rêves. (...) S’il decide de poursuivre ses rêves, il s’éloigne de la société et devient marginal. » Mais le PDR risque lui-même de rejoindre d’autres rêves détruits, car Guil est cruellement sceptique : « Bah ça me semble très clair : ConyJaro -> Cony Jaro -> Nico Ojar -> Nicolas Aujard. Bref, c’est de l’auto-pub, à effacer sans hésiter. » La période est tout aussi néfaste pour les néologismes. Un anonyme s’en offusquait récemment : « Je souhaite savoir qui s’arroge le droit de supprimer une page qui présente un néologisme (...). Si cela dérange certaines officines, que cela ne se fasse pas au détriment de l’Encyclopédie. », et il reprenait méthodiquement : « Banasnières, adj. invar. - comparable au mode de gestion municipale et à la stratégie politique locale propre à Asnières-sur-Seine sous le régime de l’Aeschlimanie ». Et puis le 6 avril c’était au tour de la « mijuscule » d’être menacée - c’est bien joli mais si la mijuscule disparaît, en quoi mettra les noms de wikipediens dans le Tigre ?


06 | Ô FLOTS ABRACADABRANTESQUES

La « mijuscule » a disparu de Wikipedia, et le débat néologique s’est cette semaine déplacé de la typographie à la politique. HDDTZUZDSQ, que les conflits passionnés soulevés en ce moment par différentes catégories n’ont pas échaudé, vient de créer simultanément l’article et la catégorie « Néologisme politique  », pour les renommer aussitôt «  Expression ou néologisme politique ». La riposte fuse - Aliesin propose la suppression de la catégorie : « Problème de sémantique. (...) L’usage du «ou» est problématique ». Udo, qui s’était pourtant fendu au départ d’un compliment - « Il est si rare qu’on soit d’accord pour que je souligne la chose. » - se rallie du coup à Aliesin. On reproche à HD de vouloir « y caser tout ce qu’il p[eut] », ce que l’intéressé reconnaît volontiers, tout en argumentant : « «racisme anti-blanc», c’est comme «délit de solidarité» ou «islamophobie» ou «war on terror», ou «démocrature». C’est une expression POV [non-neutre], destinée à faire émerger une idée. ». FrançoisD, soucieux de « ne pas déformer le sens des mots du jargon linguistique », propose « Catégorie :Rhétorique politique » - mais les termes « Pschitt » et « Abracadabrantesque » y seraient-ils alors toujours admis ? Chirac les ayant intronisés politiquement, Labrede vient de leur donner statut encyclopédique. Le premier, « une onomatopée reproduisant une production rapide de gaz et son écoulement tourbillonnaire dans un orifice de petite taille. Variante orthographique : « Pschit ! » », fut prononcé un 14 juillet : « Ce n’est pas qu’elles se dégonflent, c’est qu’elles font «pschitt», si vous me permettez cette expression ». Et le second en 2000 d’après Rimbaud : « O flots abracadabrantesques, / Prenez mon coeur, qu’il soit sauvé : / Ithyphalliques et pioupiesques / Leurs insultes l’ont dépravé ! » Avec cette précision : « l’usage de cet adjectif rare aurait été suggéré par Dominique de Villepin, amateur de mots précieux et de poésie. » - « Pioupiesque » répondrait ce dernier.


07 | LA MEILLEURE IDÉE UTOPIQUE

Cette semaine Dake, administrateur sur l’encyclopédie Wikipedia, a posé ses jours : « Je suis absent pendant 3 semaines. Raison : armée suisse. (...) Mission principale : prendre des photos pour Wikipédia (Arolla, Grande-Dixence, etc.) aux frais du contribuable suisse ». Du coup il confie la garde de son robot correcteur aux collègues - « Si Probot fait des siennes (devrait pas normalement...), bloquez-le » - puis glisse quelques ultimes recommandations : « Ah tiens en passant, je vous confie la surveillance de cet utilisateur : Special :Contributions/Migite, il uploade plein d’images sous copyright, sans licence. ». Parce que les violations de copyright d’images, Dake n’aime pas. Il a d’ailleurs dressé Probot dans ce sens : « ce qu’il adore, c’est supprimer les catégories et faire le shérif avec les images sans licences ou supprimées ». Uld aussi, mais il vient de se faire tancer par Markadet à cause de sa propension à karchériser également les images en fair use : « Merci de ne pas refaire ça. Si tu as un irrépressible besoin d’agir, chasse le copyvio, les images sans licence ou le fair use non argumenté ». Le fair use ? En droit américain, comme dit Arnaudus, l’équivalent pour les images du droit de citation français. Un copyright « permissible ». Théoriquement interdit sur Wikipedia donc, qui est sous licence libre - mais de fait toléré, voire âprement revendiqué. Légalistes et fair users s’affrontent sur le wikibistro - Manu trouve que les images de toutes façons c’est « accessoire », Pyb, lui, veut faire bouger la fondation Wikimedia, structure support de l’encyclopédie . Xionbox, pragmatique, demande « si les serveurs de Wikipédia sont hébergés aux États-Unis d’Amérique » et donc couverts par le droit de ce pays, puis comme on lui signifie que ça n’y changerait rien : « Je pense que la meilleure idée utopique serait d’autoriser dans les lois internationales l’utilisation d’images en fair-use pour des encyclopédies en ligne uniquement. »


08 | L’EFFET PIRANHA

Les longs débats de la semaine dernière sur le fair-use (« utilisation loyale » d’images sous copyright) ont conduit au lancement d’un Projet :Fair_use, pour régler le problème une fois pour toutes. Markadet propose que soient acceptés « les logos, captures d’écran, timbres, blasons » - à quoi Jean-Baptiste, sans pitié pour l’art minimaliste, répond qu’il faut ajouter un « critère de description » : « une reproduction de la pochette du white album des Beatles serait clairement abusive, puisqu’on peut facilement la remplacer par une description ». Pour Clash la solution ne peut être que radicale : « la séparation physique entre version «avec images non-libres» et «avec images libres» » - ce qui risque de compliquer la tâche de la fondation Wikimedia, qui envisageait elle aussi une double version, mais entre « articles de qualité », figés, et articles en évolution. Le caractère évolutif de l’encyclopédie, d’ailleurs, Poulpy trouve que certains l’oublient un peu, et pour répondre à Siren qui n’a rien contre la « Liste des cinémas de Paris » mais trouve que de « créer un article par cinéma, cela devient plus discutable », vient d’écrire « UGC Forum Orient-Express », « histoire de voir s’il est aussi possible de raconter des choses dessus ». Et comme d’aucuns se plaignent du trop grand nombre d’ébauches, il ironise en proposant de « passer TOUS les articles de moins de X lignes à la suppression ». Il pouvait être sûr qu’aussitôt on viendrait brandir la mythique « Pomme », qui grâce au non moins mythique « effet piranha », est passé d’un lapidaire « une pomme est un fruit » à un article si détaillé qu’on y apprend même qu’elle est un faux-fruit. Et la campagne « Adoptez une ébauche » initiée par Sébastien Savard de se poursuivre - dernier article proposé à l’amélioration : « Film contenant un film ». Comme dit Le Gorille, l’encyclopédisme, « c’est quelque chose entre une définition de l’univers en 3 lignes et la description précise de l’ensemble des composants de cet univers. »


09 | COMMUNIQUÉ DE PRESSE

On a coutume, sur le bistro, de s’encourager mutuellement en brandissant quelques chiffres magiques, le 6500è contributeur à s’inscrire, le 100è administrateur à être élu - cette semaine c’est Kyle_the_hacker qui claironne : « J’informe les flemmards de Wikipédia que les 300 000 articles arrivent... on devrait les atteindre en début de mois prochain, on pourrait peut-être commencer le communiqué de presse ? » - mais comme Le Tigre est en avance sur son temps, pas besoin de communiquer c’est déjà imprimé. Dingy tempère néanmoins : « Les chiffres comparatifs avec les wikis en : [anglaise] et de : [allemande] semblent montrer que nous sommes à la traîne, ce n’est pas le cas dans tous les domaines, le wiki fr est en tête par exemple dans certains domaines sportifs, comme le rugby (1900 articles en 9 mois d’existence) ». Et Eyeone de définir le prochain défi stratégique : « doubler de :, chose qui sera malheureusement très longue, et on risque bien de se faire doubler par es : [espagnole] avant cela. » - la croissance encyclopédique de l’Europe a de beaux jours devant elle. Les allemands, DarkoNeko les évoque d’ailleurs aussi à propos de la prise de décision qui débute sur la gestion des liens externes : « Sur de :, ils ont tendance à fuir les votes et décisions comme la peste, je pense que je commence à comprendre pourquoi » La discussion porte en effet sur la définition de « critères précis pour permettre à un utilisateur de savoir si un lien externe doit être conservé ou pas. », et Démocrite y affirme qu’« une certaine bureaucratisation de wikipédia est nécessaire même si elle est en contradiction avec les principes fondateurs » Et de se justifier en invoquant la bataille qui a eu lieu sur l’article « Politique » entre le partisan du lien politique.com et celui de france-politique.fr. Au moins ce litige-là a-t-il été tranché : ni l’un ni l’autre n’y figurent plus, ou bien les deux, puisque l’article renvoie maintenant vers la catégorie politique de l’annuaire de sites Dmoz.


10 | UNE SOCIÉTÉ DISCRÈTE

« La règle chez les Francs-Maçons (je n’en suis pas), est ne ne pas dévoiler l’appartenance à la maçonnerie de leurs «frères». La règle sur wikipédia, est de ne mettre que des informations pertinentes et surtout vérifiables. » - voilà comment en deux phrases 84.xxx.229.xxx apprit du prudent Tagelmoust qu’il était aussi mauvais maçon qu’encyclopédiste. C’est Esprit Fugace qui monta la première au créneau, en constatant qu’un anonyme avait entrepris avec une énergie certaine d’étoffer la catégorie franc-maçon : le 4 mai à 05:55, Michel Mouillot, à 05:56, Michel Charasse, à 06:09, Alain Devaquet, et ainsi se succèdèrent une bonne quinzaine de personnalités jusqu’à 07:12. Mais à 10:06 Esprit Fugace, donc, tomba sur la biographie de Guy Drut et, trouvant le procédé quelque peu cavalier, effaça la nouvelle mention : « C’est comme pour l’homosexualité : on ne le mentionne que sur les pages des personnalités qui l’ont revendiqué. Ça ne se fait pas d’«outer» quelqu’un. » Comme 84.xxx.229.xxx ne voyait pas très bien ce que venait faire la respectabilité dans une biographie - « On ne cache pas sa condamnation dans l’affaire des marchés fictifs d’Ile de France. » - Arnaudus vint en renfort : « les marchés fictifs, c’est la vie publique, la franc-maçonnerie, c’est la vie privée », tout en précisant ailleurs : « Un franc maçon qui se revendique, ça ne devrait pas exister, c’est une société secrète. », ce qu’Esprit Fugace nuançait aussitôt : « C’est une société discrète, pas vraiment secrète » Lorsque Schiste intervint à son tour pour défendre la discrétion de Jean-Luc Mélenchon, 84.xxx.229.xxx s’énerva plus franchement : « Avoir été initié est un fait, c’est tout ! On vit au 21e siecle tout de même. ». Après quoi il fit lui-même, après moultes annonces sur les dangers auxquels il s’exposait, son « outing » le 8 mai, « date symbolique pour les connaisseurs. » Wikipedia resta de marbre. On ne saura jamais si ce fût grâce aux initiés ou aux profanes, mais la discrétion resta de mise.


11 | ET VOILÀ QUE « PFOU », TOUT S’EFFACE

« Ah ben ça c’est super, j’étais en train de lire des informations très intéressantes sur Mme Royale pour en faire un article pour le journal de mon lycée et voilà que «pfou» tout s’efface » - c’est que Zzerome, enseignant de profession, avait décidé depuis 2 mois de se lancer dans l’encyclopédisme, et que, ne se reconnaissant pas dans les deux grandes écoles qui s’affrontaient sur Wikipedia, à savoir les inclusionnistes (fervents défenseurs de l’amélioration progressive des articles) et les suppressionistes (plus sceptiques sur leur capacité d’évolution), il avait sans le savoir ouvert une 3è voie, le réductionnisme. Il était d’abord intervenu sur la biographie de François Mitterrand - « Objectifs : condenser l’article » - avant de s’intéresser à celle de Ségolène Royale. Elle lui sembla contenir quantités de données tout à fait secondaires, alors il fit le ménage, et tança la lycéenne dépitée : « sachez que vous ne devez pas vous servir de pages où la neutralité est mise en cause pour faire des articles ! » Mais NeuCeu arriva, NeuCeu qui n’était plus une bleusaille puisqu’il faisait office d’administrateur, brigadier et patrouilleur, NeuCeu qui était membre du PS, et qui avait une autre conception du travail biographique : « L’article devra être plus complet dans la perspective de la présidentielle, en retirer des informations n’est sûrement pas le moyen d’atteindre ce but. » Zzerome s’offusqua : « Le fait qu’elle soit candidate à la candidature ne signifie pas que sa biographie doit grossir sur Wikipedia ! », mais Aoineko s’étonnant de ce que l’action gouvernementale ne soit plus pertinente sur une biographie, et divers contributeurs s’émouvant de la différence de taille avec l’entrée « Nicolas Sarkozy », la version initiale fut restaurée, et complétée. Zzerome se désespéra : « Voilà mes craintes confirmées ! », et VinceToto, diplomate, concluait : « À part la photo avantageuse de 2000 (sauf pour le regard), je ne vois pas vraiment de gros problèmes de neutralité. »


12 | C’EST UNE SORTE D’HOMMAGE ?

Alors que Zzerome continuait à batailler sur la biographie de Ségolène Royal, partant du principe qu’ « à son échelle   », elle n’était «  rien   », c’est un allemand, Thomas Fernstein, qui vint lancer la polémique, en anglais, sur quelqu’un dont nul ne contestait qu’il était quelque chose mais cependant : « Franz Kafka was not Czech. » Pousselin, allemand lui aussi, s’interrogea, en français : « Kafka considéré comme Autrichien me paraît bizarre, il est reconnu généralement comme étant un écrivain tchèque de langue Allemande et ce même s’il est né sous l’empire Austro-hongrois. Avec cette logique les écrivains sénégalais nés avant 1960 doivent être considérés comme français.  ». Après quelques hésitations, il annonça : « Kafka redevient tchèque   », mais le débat reprit avec EjpH, qui cita d’abord «  la notice dite «d’autorité» de la BnF   »   : « Kafka, Franz (1883-1924) forme internationale Nationalité(s) : Tchécoslovaquie Langue(s) : allemand Sexe : Masculin Responsabilité(s) exercée(s) sur les documents : Auteur   », avant de choisir de ne pas la suivre : « J’ai essayé une rédaction neutre et ne lui conférant explicitement aucune nationalité actuelle  » Comme la question continuait de le tourmenter, il alla deux jours plus tard faire des recherches sur la wikipedia tchèque qui disait : « Franz Kafka (...), pražský německy píšící spisovatel židovského původu   » et trancha : « Si même les éditeurs tchèques ne mentionnent pas la nationalité de Kafka, je ne vois pas pourquoi nous serions plus tchèques qu’eux.  ». Baalshamin était d’accord mais « cependant, pour plus de clarté  », proposa « «né à Prague», plutôt que «pragois», un terme qui n’est pas très connu et donc pas très explicite.  » Et lorsque tout le monde fut satisfait, Poulpy demanda : « Une guerre d’édition pour savoir quelle est la nationalité de Kafka et s’il faut mentionner un pays qui n’existait pas encore à ce moment là ? C’est une sorte d’hommage à la vision de la bureaucratie et à l’absurde de l’œuvre de l’auteur ?   »

 

13 | DÉSIREZ-VOUS OUVRIR LA PORTE N°2 ?

« Bonjour. Je m’occupe des paradoxes et la catégorisation de l’article Problème de Monty Hall me gêne parce que 1. ce n’est pas un paradoxe ; 2. il n’y a rien de paradoxal dans l’article (sous sa forme actuelle) » - STyx voulait y voir plus clair dans les paradoxes, et venait en toucher deux mots à Bourbaki, qui contribuait régulièrement à l’article. Il s’agissait de déterminer la probabilité pour un joueur placé face à 3 portes, dont 2 cachaient des chèvres, de trouver celle qui masquait la voiture : « Vous choisissez une porte, disons la n° 1, et le présentateur, qui lui sait ce qu’il y a derrière chaque porte, ouvre une autre porte, disons la n° 3, porte qui une fois ouverte découvre une chèvre. Il vous demande alors : «désirez-vous ouvrir la porte n° 2 ?». À votre avis, est-ce à votre avantage de changer de choix et d’ouvrir la porte 2 plutôt que la porte 1 initialement choisie ? » La discussion s’engagea entre STyx et Bourbaki, qui devinrent vite des « thirders » convaincus : « 1/3 de chances de gagner sans changer, 2/3 de chances de gagner en changeant ». Mais ils s’interrogeaient : « S’il y a une question non résolue dans ce paradoxe, STyx, c’est comment les “halfers“ [1/2, 1/2] peuvent maintenir leur point de vue face à tous les raisonnements simples et efficaces présentés ? (...) Sauf qu’on n’a pas d’halfer sous la main pour voir. » Frege-Brouwer, se sentant appelé, fit une entrée fracassante dans le débat, et failli vexer le placide Bourbaki : « Même si 1/2 était la vraie solution, les thirders seraient en droit d’exiger des excuses. » Deux jours et de nombreux arguments plus tard Frege-Brouwer s’exclama : « cher Bourbaki Euréka ! J’ai trouvé pourquoi je me trompe (je fais tout ici !) », et conclut : « p(v, dx, E) = 1/(card(E2)-(n-2 )) * p(v, E2) = ((n-1)-(n-2)) * p(v, E2) = p(v, E2) : CQFD ! (...) Formulation définitive le 2 juin 2006, le matin » Mais presque aussitôt les calculs reprirent. Personne ne dit s’ils valaient aussi pour qui voudrait gagner la chèvre.


14 | LE FRANÇAIS INTERNATIONAL ACADÉMIQUE

« L’anglo-américain est ma première langue et le français international académique vient en quatrième position après le germano-scandinave.  » - c’est d’ailleurs bien ce qui déconcertait les wikipédiens qui tombaient sur une contribution de Takima : car Takima avait sa conception propre de la langue, et s’attachait à traduire en « francophone », « d’aucune utilité quotidienne, mais uniquement comme langue de culture et de prestige », le « franco-français folklorique » des sujets qui l’intéressaient. Le vieillissement par exemple, qui de « processus qui nous rend vieux » devint sous sa plume « un phénomène «polysystémique» d’interactions complexes par la “diversité” des niveaux physique, psychique et culturel et par la “variété” de composantes à chaque niveau. [...] ». Hégésias manifesta certain désaccord : « Damned !! la définition est incompréhensible pour le néophyte. ». Il lut, relut, puis précisa : « En fait, si, on distingue vaguement un sens ; sauf que ça ne caractérise pas la vieillesse, mais ce n’est qu’un charabia de généralités formulées dans un jargon superflu. » Meithal, qui aimait à citer Renan - « Le simple écolier sait maintenant des vérités pour lesquelles Archimède eût sacrifié sa vie. » - fut d’abord fasciné par le travail de Takima qu’il compara, honneur suprême, à la mythique ébauche devenue fierté wikipédienne : « on dirait «la pomme est un fruit» ^^ ». Mais, non sans revenir sur la nécessité qu’il y avait à développer la 1è définition, il reconnut bientôt que la 2nde posait quelques difficultés, et proposa qu’on trouve « un juste milieu » pour lequel il se déclarait incompétent. « Qui parle de définition ? » rétorqua Takima, « c’est une introduction complète qui annonce la totalité du contenu et l’articulation des éléments et préfigure la conclusion. » Hégésias ne s’en laissa pas compter, et coupant court aux arguties avec un « vieux routier des publications scientifiques », plaça l’article et son académisme international dans la catégorie « À recycler ».


15 | COUPE DU MONDE : IL Y A MÉPRISE

Alors que La Cigale lançait un appel à contribution des « jeun’s » sur la catégorie « À désacadémiser », où étaient recensés « les articles ardus sortis bruts de fonderie » comme la « Fonction elliptique de Jacobi » qui expliquait que « si k = 0 , on retrouve la trigonométrie ordinaire. Si k = 1 , sn(u,1) = th(u) ; cn(u,1) = 1/ch(u) ; dn(u,1) = 1/ch(u). et tan(A/2) = th (u/2)(Gudermann) », Clio64 démarrait sans le savoir une polémique sans précédent. Ça lui avait pourtant semblé aller de soi, de proposer le bandeau « Article de qualité » pour la « Coupe du monde de football », et les 1ères réactions le confirmaient. Mais les choses se gâtèrent avec l’arrivée des votants « Attendre » ou « Contre », qui claquèrent bientôt la porte de concert. P.Vigué questionna puis biffa : « un vrai économiste pourrait-il nous dire si franchement les chiffres de tableau sont si concluants ? », Bibi Saint-Pol demanda puis raya : « La coupe du monde, événement sportif parfaitement consensuel et au-dessus de toute critique ? », Feth déclara sans y retoucher : « article gravement incomplet sur l’histoire de la coupe du monde autour des pelouses. La coupe du monde de foot est un événement médiatique/social/que sais-je avant d’être un événement qui se passe entre des joueurs de football » « Il y a méprise. L’article est désormais complet à 99% », répondit Clio64, qui se faisait fort d’expliciter à chacun en quoi il se trompait. Mais la virulence du débat et les plaintes pour harcèlement formulées par Guillaume1974 sur le Bistro, l’exaspérèrent bientôt. Il botta en touche - « ce test (et oui, c’était un test [...]) marque pour moi la fin du concept d’AdQ dans sa forme actuelle. » - puis annonça de « très longues wiki-vacances ». Au Café des sports, Sebcaen, tout aussi remonté contre les « anti-foot », proposa de créer un label « article notable » décerné par les seuls contributeurs au projet sportif. Arnaudus commenta : « tourner une élection d’un article (moyen) en un coup d’état, faut le faire. »


Numéro d’été, partie juillet | L’EUROPE EST SIMPLEMENT UNE ABSTRACTION

 

« Cette page porte sur un thème facilement sujet à controverses. Les intervenants sont invités à une prudence particulière. Restez précis, factuels, explicites [...]. Restez calmes et courtois. [...] La modération des discussions est l’affaire de tous. » Les choses avaient dégénéré simultanément sur plusieurs pages, au moment du 1er anniversaire du Référendum européen, et depuis la guerre s’étendait : « Turquie », « Chypre », « Bosphore », « Kazakhstan » - les « Limites de lEurope » étaient âprement disputées. Le blocage des articles pour conflit éditorial se répandait de pays en pays et les wikipompiers s’affairaient sur les pages de discussions pour éviter l’embrasement général.

« En réalité, on le voit, l’Europe n’est ni un continent, ni un sous-continent, ni une péninsule, ni une quelconque entité géographique scientifiquement déterminable. L’Europe est simplement une abstraction utilisée pour rendre compte d’un ensemble de peuples et pays culturellement et géographiquement proches. » disait la Wikipedia francophone, tandis que sur l’équivalent anglophone, « Transcontinental nation », Citylover commentait : « Ce que nous faisons peut être considéré comme un travail de recherche de second ordre mais aucun d’entre nous n’a encore trouvé un passage dans un livre écrit par une autorité bien établie sur ce sujet. Il est alors probablement de notre ressort de définir nous-même les frontières entre continents :) » Tous s’accordaient sur cette mission inattendue qui leur incombait et sur l’intérêt du débat, mais le consensus s’arrêtait aussitôt, car chacun avait de la définition une conception sans appel : « De deux choses l’une : soit l’existence même de l’Europe ne repose sur aucun critère géographique, et alors il est vain de parler de l’Europe en tant que continent et la conversation que nous avons est sans objet, soit on tente d’en donner une définition géographique, ce que plusieurs auteurs ont fait au cours des siècles, comme il est expliqué dans l’article, mais aucun d’entre eux n’a placé Chypre en Europe, quelle que soit la frontière retenue. »

Švitrigaila, donc, qui parlait l’anglais, le russe, l’allemand, le roumain, l’esperanto, le basque, mais pas l’abkhaze, ou « seulement avec des difficultés notables », excluait l’île qui avait fait de Neophytou, « chevalier de l’ordre chypriote » et « pour l’entrée de la Turquie en Europe », un wikipédien convaincu : il avait bondi en voyant qu’un rédacteur avait qualifié Chypre d’« asiatique », et avait modifié le paragraphe concerné de manière conséquente : « Autant les Chypriotes grecs que les Chypriotes turcs se sentent avant tout Chypriotes et donc légitimement Européens. », pouvait-on y lire maintenant. Puis il avait élargi la critique de la politique à la linguistique en page de discussion : « qu’on le veuille ou non, l’adjectif asiatique, quand il se rapporte à un pays, ou une communauté a une valeur culturelle indéniable et donc ne devrait pas être utilisé. [...]Ainsi, dire que les pays du Moyen-Orient sont en Asie est concevable mais affirmer qu’ils sont asiatiques n’est pas honnêtement tenable car ambigu. »

Un conflit s’enclencha avec Baalshamin, ardent biographe villieriste, qui était contre l’entrée de la Turquie en Europe et s’attachait à le faire savoir sur toutes les pages possibles de manière suffisamment brutale pour que GL, administrateur de son état, lance contre lui une demande d’arbitrage. Baalshamin, qui insistait envers et contre tous pour qu’on fasse mention de la violence de l’impérialisme ottoman et du fait que « pour ce qui est de Chypre, la Turquie occup[ait] militairement et illégalement une partie du territoire européen », fut bientôt interdit d’éditer en raison de son comportement.

Michelet, qui intervenait en tant que wikipompier, avait de toutes façons déclaré : « L’article étant consacré à la limite de l’Europe, et non à la défense de ses frontières, l’occupation de Chypre en tant que telle est hors sujet. » Quant à Švitrigaila, il décida que « l’article «Limites de l’Europe» [avait] montré ses limites » et alla se concentrer sur « Modèle : Pays d’Europe ».


Numéro d’été, partie août | SI QUELQU’UN MET LA LUNE EN EUROPE

« Wikipedia dit de mettre les points de vue sans tenter de comprendre quelle est la vérité objective. Donc mettons que la Turquie est « ce que tu dis » et que Baalshamin raconte des conneries à cause de cette propagande. Puis que beaucoup d’Européens pensent que Baalshamin a raison mais que Neophytou raconte des conneries parce qu’il est... communiste (ou je ne sais quoi, c’est B. qui va nous le dire). [...] La vérité devrait se défendre toute seule. » Mais la vérité peinait à se défendre et même à se révéler, et en dépit des tentatives de conciliation de Marsupilami, les points de vue s’affrontaient sans ménagement.

Comme sur « Modèle : Pays d’Europe », dont l’objectif était de « présenter une palette de navigation vers tous les pays d’Europe » en fonction de leur appartenance aux diverses institutions, ce qui ne facilitait en réalité pas grand chose : « Tout cela tourne à la farce. Vous avez expulsé le Kazakhstan, la Géorgie et l’Azerbaïdjan de l’Europe [...]. Vous avez radié le Danemark de l’Otan. Vous avez rajouté une rubrique pour les îles méditerrannéennes, ce qui est hors sujet. Qu’allez-vous faire du Royaume-Uni, de l’Irlande, de l’Islande ?... Et tout cela pour quoi ? Pour prouver que Chypre est géographiquement sur le continent européen. » Švitrigaila avait perdu patience face à Aristarque de samos, qui était contre l’entrée de la Turquie en Europe et pour un Québec indépendant, et qui avait aussitôt rétorqué : « Si quelquun met la Lune en Europe, il faudra démontrer quelle ny est pas ? »

 

Michelet ne se prononçait pas sur la Turquie, mais il était en tous cas d’accord avec Aristarque sur un point : « La France est un grand pays d’Amérique du Nord (via St Pierre et Miquelon), d’Amérique centrale (via l’ilôt Clipperton), Antillais (Martinique, Guadeloupe) et d’Amérique du Sud (via la Guyanne). Si j’aborde un Mexicain avec un « bonjour, cher voisin », il sera quand même certainement surpris. » Michelet était intervenu comme wikipompier sur les « Limites de l’Europe », et se découvrait ici pyromane. Décidé à pousser le raisonnement jusqu’à l’absurde, il proposa que chaque ambassade, étant « une zone de souveraineté », soit inclue dans le modèle. Il entendait justifier ainsi son retrait du Kazahkstan : « je ne pense pas qu’un lecteur intéressé par l’Europe soit intéressé par le Khazakstan, ni qu’un lecteur intéressé par le Khazakstan soit correctement informé si on lui suggère qu’il fait partie de l’Europe. » Le feu prit immédiatement : « J’ai bien évidemment rétabli le Kazakhstan (revoyez votre orthographe), dont une grande partie (consultez une carte de géographie) se trouve à l’ouest du fleuve Oural, donc en Europe. » lui lança Perfidia. Et de s’échanger vertement quelques volées de références : « Dans mon dico, bêtement, je lis à KZKSTan « état de l’Asie centrale », ce qui cadre mieux avec ce que dicte l’intuition. [...] La règle Wikipédia est que les informations non sourcées sont éliminées. La mienne vient du Grand Larousse Universel, édition 97, page 5966. Vos références ? » disait Michelet, et Perfidia répondait : « La limite orientale de l’Europe est bien connue depuis des lustres. Comme De Gaulle l’a si justement rappelé, l’Europe va de l’Atlantique à l’Oural. » Mais Michelet n’était pas gaulliste : l’Oural ? « une montagnette » - quant au fleuve : « dans ces zones de grandes plaines, la limite ne peut être quelque chose de géographique, parce que... c’est la plaine, quoi. »

Le Kazakhstan, VerdyP laissait les autres en débattre, mais il prenait la défense de chaque île : « Où sont Jersey, Guernesey et l’Île de Man ? », demandait-il, et il s’insurgeait : « Quelqu’un discute ici le caractère européen de l’Islande en l’affublant d’un « ? » carrément insultant pour l’Islande et les Islandais ! Alors que ce n’est contesté par personne, que ce soit un géologue, un géographe, un ethnologue, un historien, un géopoliticien. Ni même les islandais eux-mêmes. » Ni même l’Eurovision ou l’UEFA qui, pour compliquer la tâche des wikipédiens, incluaient Israël, et, pour la 1ère, le Maroc, la Libye, l’Égypte et le Liban.