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« Y’a une idée comme ça... »

« Y’a une idée comme ça... »

« Y'a une idée comme ça... »
Mis en ligne le jeudi 31 mai 2007 ; mis à jour le lundi 10 septembre 2007.

Publié dans le numéro II (mai 2007)

Thomas, 34 ans, caissier-contrôleur au Louvre.

Y a une idée comme ça que les gardiens de salle n’aiment jamais les œuvres qu’ils gardent et c’est tant mieux, comme ça ils les gardent mieux que s’ils étaient amoureux de la peinture, y a une idée comme ça qui traîne. Mais non, c’est un boulot, quoi. C’est un lieu connu mondialement... ça brille quoi, ça fait rêver. Je suis rentré j’étais étudiant, moi, j’aurais été là ou ailleurs, c’était pareil. Alors évidemment quand tu travailles tu vois que le côté vraiment concret du truc. C’est un business, je veux dire, faut pas comparer, le Louvre, faut pas sacraliser, c’est pas un temple du bon goût, de la culture, c’est d’abord un business, ce serait plus à rapprocher de Disneyland que d’autre chose. C’est le tourisme de masse, c’est pas un truc de connaisseurs, d’esthètes, c’est pour monsieur et madame tout le monde, c’est un entrepôt doré. C’est comme ça, c’est la réalité... Faut pas être non plus sensible.

L’expo temp’ c’est déjà un peu plus précis, et ça attire aux trois quarts des Français, des vieux, c’est comme ça hein. Et c’est des gens qui ont des cartes à l’année, et plutôt d’un milieu je sais pas si on peut dire aisé ou upper je sais pas quoi, ou en tout cas qui se veut, qui se prétend un peu au-dessus, plutôt ambiance un peu bourge quoi. Mais quand tu vois qu’ils ont du mal à lâcher un billet de 10... Comme ils font toutes les expos sur Paris, parce que les collections permanentes ça les intéresse pas vraiment, soi-disant ils les connaissent... ils ont toutes les cartes à l’année. Donc en même temps ils s’embrouillent avec les cartes, tu le vois quand ils ouvrent leur portefeuille, qu’ils ont toutes les cartes et qu’ils se font chier le dimanche, donc ils sortent, et ils vont de manière quasiment automatique à toutes les expos, donc même si ça les intéresse pas, ça peut être l’art précolombien comme des trucs très classiques grecs, ou l’école romantique de je sais pas quel pays, ils iront quand même, même un gars qui fait des sculptures avec des crottes de chien à Pompidou, ils iront voir, ils feront la gueule, ils feront la moue, mais ils iront quand même. Tu vois les gens qui vont à une expo à reculons, tu les vois ils rentrent, au bout de dix minutes un quart d’heure ils sont sortis quoi. C’est plus pour se vanter, voilà j’ai fait telle expo. C’est du toc, c’est du faux quoi. En fait ils aiment pas grand chose, je sais même pas si ils aiment quelque chose. C’est juste regrettable, mais c’est comme ça.

Et ça c’est un public vraiment pénible, antipathique, tu leur dis bonjour, ils te répondent pas, t’as vraiment envie de leur baffer la gueule parfois, toute la journée comme ça c’est vraiment pénible. Y a une file prioritaire, pour certaines cartes, par exemple la carte à l’année. Et là ça leur fait plaisir parce qu’ils sont dans la file prioritaire, et tu t’aperçois que certains Français aiment beaucoup les privilèges et ce genre de choses. Et plusieurs fois quand tu dis à la personne qu’elle a pas la bonne carte pour le coupe-file t’as droit à une sorte d’intimidation quoi genre je connais le ministre. Donc ça c’est un des petits plaisirs, quand t’arrives à refouler quelqu’un et le faire patienter... ils sont tellement odieux. Même quand y a pas de tant de monde que ça faut tout le temps qu’ils râlent, bon ben bien fait pour leur gueule. C’est pas méchant, c’est eux-mêmes qui se mettent comme ça dans des situations très négatives, tu sens que ça bout. J’ai l’impression que tout les irrite. Tu sens que les gens sont pas heureux, mais bon ben c’est leur problème. Ils te prennent un peu comme un flic, comme si c’était une injustice de se faire contrôler, alors que bon ça prend une seconde, y a rien d’humiliant, y a pas de fouille au corps ou de toucher rectal, mais ça les emmerde profondément, et quand t’as pas l’habitude ouais c’est franchement, tu le prends assez perso, parce que t’as l’impression d’être comment dire, de pas être considéré. C’est pas que tu veuilles que les gens soient polis avec toi, une certaine neutralité c’est largement suffisant. Moi comme j’ai l’habitude ça me dérange plus trop, mais c’est vrai qu’y a beaucoup de gens qui supportent pas. Faut rester, pas zen parce que j’aime pas ce mot, mais serein. Faut quand même tenir, garder son calme, c’est une fatigue du genre t’es tout le temps sollicité pour tout et n’importe quoi, les gens sont paumés, les toilettes, l’Égypte, les caisses... Y a toujours un bruit de fond, un brouhaha permanent. Alors dit comme ça on se dit, ouais bon, c’est pas l’usine hein, c’est pas la mine. Mais c’est un truc un peu plus insidieux en fait. C’est pas fatigant, c’est usant. C’est pas crevant, t’as pas couru, t’as pas... mais tu piétines, il fait chaud, t’as ni droit à bonjour ni s’il te plaît, toute la journée on te fait c’est où les toilettes...

En fait ça peut être usant quand tu le fais à partir de trois quatre jours de suite, mais bon deux jours tu te fais une raison quoi. Ça fait toujours sourire, mais moi je travaille que le week-end, depuis des années. Moi je peux vivre avec très peu d’argent, c’est-à-dire moins de 700€ par mois. Moi personnellement ça me saoule les week-ends. Le samedi c’est noir de monde dès que tu veux aller dans une librairie, un cinéma, faire les courses, c’est la foule. Et puis dimanche pratiquement tout est fermé, et dans les rues c’est que des gens avec des poussettes, ou des rollers, ou des rollers qui poussent des poussettes, et moi ça me saoule voilà. Moi j’ai fait des études, mais c’était pour me faire plaisir, c’était pas dans une ambiance faut forcément que je trouve un boulot, ça m’intéresse pas de faire carrière, j’ai aucune ambition particulière. C’est très bien comme ça, je me prive de rien. Je suis pas du tout inquiet, je suis pas le genre à faire une déprime. Moi je préfère cette précarité entre guillemets. Si quelqu’un trouve que mon style de vie entre guillemets c’est pas du tout responsable ou c’est pas bien, ça me touche absolument pas. Y a tellement de choses à faire, tellement de livres à lire, de films à voir... qu’y a pas assez de temps. Donc deux jours de boulot dans la semaine c’est largement suffisant. J’adore tout ce qui est un peu on va dire culture populaire quoi, pas la culture genre j’apprends l’allemand pour lire Goethe dans le texte, moi le côté classique ça m’intéresse pas.

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